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ZUÉRIUS.

de langage : il a soutenu que le livre des Comètes n’a point été la vraie cause de la disgrâce du professeur, et que c’est principalement à cause de l’Avis aux Réfugiés que la pension et la permission d’enseigner lui ont été ôtées, non pas sans avoir été entendu, mais après que les magistrats eurent employé un long temps à examiner toutes les pièces, réponses, répliques, etc. C’est une fausseté dont toute la ville de Rotterdam est convaincue, parce qu’il y a pas de bourgeois qui n’ait demandé à quelqu’un de messieurs les conseillers comment la chose s’était passée, et qui n’ait pu apprendre par ce moyen que, dès la première fois que l’on proposa dans le conseil si l’on révoquerait la permission qui avait été donnée l’an 1681 à ce professeur, d’enseigner en public et en particulier avec une pension de 500 francs, la pluralité des voix alla à l’affirmative. Ainsi dans la même séance l’affaire fut proposée et conclue : je ne sais pas si cela dura une bonne heure. Il n’y fut parlé, ni directement, ni indirectement, de l’Avis aux Réfugiés : quelques-uns des opinans alléguèrent seulement les Pensées sur les Comètes, et représentèrent le danger qu’il y avait à laisser enseigner à la jeunesse les opinions qui se trouvaient dans ce livre. Quelle hardiesse ne faut-il pas avoir pour soutenir publiquement au bout de deux ou trois mois, pendant que tous les membres du conseil sont pleins de vie, que ces messieurs se fondèrent principalement sur l’Avis aux Réfugiés ; et qu’ils avaient examiné à fond cette affaire depuis long-temps ? Cette hardiesse est d’autant plus surprenante, que plusieurs de ces messieurs ne savaient pas, en entrant dans le conseil, que l’on y proposerait une telle chose ; je veux dire si l’on révoquerait la pension et la permission d’enseigner. Jamais dans leur compagnie il n’avait été dit un mot sur ce sujet, jamais on n’avait exhorté les membres à examiner les pièces, jamais nommé des commissaires pour les examiner et pour en faire le rapport. Chacun sait que la plupart de ces messieurs n’entendent pas le français, et n’ont pu par conséquent examiner aucun factum sur l’accusation de l’Avis aux Réfugiés, ni le livre des Comètes. La témérité de M. Jurieu, son indiscrétion et son manque de respect pour le conseil de Rotterdam, dont il s’est ingéré mal à propos et sans aucune nécessité de justifier la conduite, pourraient être démontrées dans toute leur étendue, si on savait aussi peu que lui rendre à César ce qui appartient à César. Le conseil de cette ville n’a nul besoin de justifier ce qu’il a fait. Il est souverain absolu à l’égard des permissions d’enseigner ; et il peut ordonner comme bon lui semble que tout philosophe qui voudra obtenir pension, et permission d’enseigner, suive tel ou tel système ; de sorte que l’auteur des Comètes a pu être exclu de son bénéfice par cela seulement qu’il n’était point voétien, tout de même qu’en d’autres pays on a interdit les chaires aux ramistes, aux cartésiens, etc. Concluons qu’un homme qui est capable de soutenir que les magistrats de la ville ont fait une chose qu’ils n’ont point faite ; de le soutenir, dis-je lorsque ces magistrats sont encore pleins de vie, et ont les idées toutes fraîches, est bien capable de soutenir qu’il n’a point prêché une certaine doctrine, quoiqu’il soit certain qu’il l’a prêchée.

XXI. Il me reste une observation à faire qui ne paraît considérable. Il est aisé de concevoir, pourront dire nos descendans, qu’un homme qui ne se nomme point publie des feuilles volantes pour accuser, contre toute sorte de raison, un fameux ministre d’avoir prêché des hérésies ; mais il paraît incroyable que ce ministre ose nier qu’il ait prêché ce qu’il a effectivement prêché. Deux mille auditeurs, si vous voulez, détesteront la hardiesse du faux dénonciateur ; mais quel mal lui feront-ils ? ils ne savent qui il est, ni où le prendre ; il est assuré de ne recevoir jamais la confusion qu’il mérite. Le ministre ne se peut point flatter de cette espérance. Deux mille auditeurs indignés de sa hardiesse, ou plutôt de son effronterie. le pourront mortifier partout où il paraîtra. Il ne faut que le sens commun pour prévoir que cette peine est inévitable. Il n’est donc point apparent qu’un ministre s’y expose : puis donc que M. Jurieu, peu de jours