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ZUÉRIUS.

persuadés qu’ils feraient un acte de cruauté s’ils donnaient la moindre atteinte à son honneur, et ils ne veulent point se reprocher d’avoir fait descendre ses cheveux blancs avec douleur au sépulcre. Voilà l’une des raisons de ce que ses adversaires appellent tolérance excessive des synodes. Or depuis son Avis important au Public, et sa merveilleuse Dénonciation de la Cabale de Genève, on appréhende de s’y voir incorporé pour peu que l’on parle ou que l’on agisse selon le goût des prétendus cabalistes, il semble qu’on s’imagine qu’il tient banque ouverte pour cette espèce de négoce. Cela me fait souvenir d’une chose que je devais mettre en tête de tous les moyens dont il s’est servi pour affermir son autorité. Il s’est rendu délateur de deux grandes conspirations qu’il a prétendu avoir découvertes parmi les réfugiés. L’une est une cabale d’état et de religion tout ensemble, l’autre est simplement une cabale de religion. La première est répandue du midi au nord, et a son centre à Genève, et pour but de rendre le roi de France maître de toute l’Europe, afin qu’il y extermine les protestans ; l’autre est composée d’un grand nombre de ministres sortis de France, infectés des hérésies de Pélage et de Socin, et résolus de les semer le plus qu’ils pourront, depuis qu’ils ne sont plus retenus par la crainte qui les obligeait, en France, à cacher leurs sentimens. Il s’est trouvé que ces deux conspirations étaient aussi chimériques l’une que l’autre ; et néanmoins le délateur en a tiré un très-grand profit. Il s’est fait considérer par-là comme le rempart de l’orthodoxie, et peu s’en faut que les bonnes gens ne lui aient donné le titre de maréchal de la foi : j’entends maréchal, ou prevôt du moins de robe longue. Plusieurs confrères ont attribué à un excès de zèle ses plus grandes fautes, et ne les ont regardées que comme des irrégularités que l’on pouvait en bonne conscience protéger ou excuser, pour ne pas priver l’église d’un défenseur si nécessaire. Plusieurs autres n’ont osé se déclarer contre lui, de peur de passer pour membres de l’une ou de l’autre de ces deux cabales imaginaires. L’un a craint pour sa pension, l’autre de n’être jamais avancé. Après tout, si l’on s’étonne que les ministres en corps n’aient pas voulu toucher à l’affaire de la Dénonciation, on ne doit pas trouver étrange qu’aucun en particulier n’ait donné son attestation dans cette cause. L’autorité légitime n’a exigé cela de personne ; et d’ailleurs le fait dont il eût fallu rendre témoignage était scandaleux, et paraissait suffisamment réparé par le désaveu public de l’accusé. C’est beaucoup de voir un tel homme n’oser soutenir ce qu’il a prêché. C’est une rétractation tacite dont on a cru qu’on se devait contenter. Et il savait bien que l’on s’en contenterait...

Où sera l’homme qui, après avoir réfléchi sur toutes ces choses, trouve étrange qu’il ait osé démentir le dénonciateur.

Voilà les armes que j’ai cru devoir fournir à nos descendans contre les pyrrhoniens à venir. Un pyrrhonien, ravi de jeter tous les faits dans l’incertitude, aurait pu dire d’ici à trente ans : On ne saurait avérer si un ministre fameux a prêché ou non un tel jour une hérésie : quel moyen donc d’avérer ce qui se passe dans les cabinets ? On lui pourra répondre en vertu de mes éclaircissemens, qu’il est très-facile d’avérer que le ministre a prêché les dogmes dont le dénonciateur le charge. Si pendant que les choses étaient nouvelles quelqu’un avait pris la peine de les éclaircir comme j’ai fait celle-ci, nous ne serions pas obligés d’adopter en tant de rencontres le pyrrhonisme historique. L’argument négatif n’y serait pas redoutable. J’appelle argument négatif le silence des auteurs contemporains par rapport à des accidens remarquables, soit que personne n’en ait rien dit, soit que personne n’ait contredit celui qui en a parlé. Nous sommes dans ce dernier cas. M. Jurieu nie, et tout le monde le laisse nier ; le dénonciateur même le souffre. On pourrait donc, dans les siècles à venir, employer pour lui la force de l’argument négatif, si l’on ne connaissait pas la teneur de ma digression.

Rien n’empêche qu’on n’étende jusqu’aux étrangers ce que j’ai tâché de faire en faveur de nos descendans ;