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DISSERTATION

bles que lui, et il eût bien plutôt employé son esprit et son savoir à les éteindre qu’à les allumer [a]. Ce qu’il y a de blâmable est qu’assez souvent les mêmes personnes qui écrivent pour le droit du peuple écriraient pour la puissance arbitraire si les affaires changeaient, c’est-à-dire si le pouvoir despotique venait à être exercé en leur faveur, et au grand dommage d’un parti qu’elles haïssent. Quand les catholiques de France, au XVIe. siècle, virent naître les guerres de religion, ils écrivirent fortement pour le droit des rois, mais quand ils virent le droit de la succession dévolu à un prince protestant, ils changèrent de principes [b] ils écrivirent fortement pour le droit des peuples. Nous avons vu ce caprice ridicule dans l’article de Claude de Saintes. Je doute qu’après la mort de Henri III Arnauld Sorbin eût voulu écrire ce que publia l’an 1576 [c]. Pierre Charpentier eût-il écrit contre les guerres civiles l’an 1590 ce qu’il écrivit un peu après le décès de Charles IX ? On lui fit une réponse bien verte intitulée Petri Fabri Responsio ad Petri Carpentarii famelici Rabulæ sacrum de retinendis armis, et pace repudiandâ Consilium ad V. C. Lomanium Terridæ, et Sereniaci baronem. Elle fut imprimée à Neustad l’an 1575, et publiée en français l’année suivante, sous le titre de Traitté duquel on peut apprendre en quel cas il est permis à l’homme chrestien de porter les armes, et par lequel il est respondu à Pierre Charpentier, tendant à fin d’empescher la Paix, et nous laisser la Guerre : par Pierre Fabre, à monsieur de Lomanie, baron de Terride et de Seriniac. Il a été nécessaire que je rapportasse ce titre français ; car le latin n’eût jamais fait croire au lecteur que Charpentier animait les peuples à poser les armes, et qu’il ne leur proposait que la soumission évangélique [d]. Dans tous les partis il se trouve des indiscrets qui publient des ouvrages dont on tâche ensuite de faire honte à tout le corps. Un Anglais nommé William Allen, sous l’usurpation de Cromwel, publia un livre qu’il intitula : Que tuer un Tyran n’est pas un Crime. Un chanoine d’Annecy mit bientôt cette doctrine sur le compte des réformés, dans un ouvrage qui fut réfuté par feu M. Turretin. N’était-ce pas faire un reproche ridicule ? Les communions les plus sages et les plus réglées peuvent-elles retenir la plume fougueuse de tous les particuliers ? Gui Patin fut judicieux quand il parla de ce livre anglais, mais il était mal instruit des circonstances. On a imprimé en Hollande, dit-il [e], un livre intitulé

  1. Voyez Teissier, aux Éloges tirés de M. de Thou, tom. I, pag. 216. Il cite Montaigne, chap. XXVII du Ier. livre des Essais ; et M. de Thou, liv. LVII.
  2. Voyez l’article Hotman, tom. VIII, pag. 280, rem. (I).
  3. Il publia un livre intitulé Le vrai Réveil-matin des Calvinistes et Publicains français, où est amplement discouru de l’Autorité des Princes et du Devoir des Sujets envers iceux.
  4. Le titre français n’exprime pas clairement la thèse que Charpentier avait soutenue.
  5. Patin, Lettre CLIV, pag. 604 du Ier, volume. Elle est datée du 21 de novembre 1659.