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DISSERTATION

à des soldats qui l’avaient satirisé. Le même auteur met en avant [a] la patience de Philippe de Macédoine et celle d’Auguste. Cet empereur témoigna une débonnaireté admirable envers un historien satirique [b] dont il avait été maltraité, et en sa personne, et en celle de sa femme, et en celle de ses enfans. Rien n’était plus propre à irriter un puissant prince qui savait d’ailleurs que les bons mots de l’historien avaient été pris au bond, et qu’ils couraient par toute la ville. C’est la coutume. Le chevalier de Méré a dit sagement que la médisance est bien à craindre quand elle s’explique par de bons mots, parce qu’on se plaît à les redire, et qu’on relève toujours quelque chose de bien pensé [c]. Mais Sénèque a dit encore avec un peu plus de raison, que les bons mots qui exposent leur auteur à quelque péril sont relevés plus soigneusement que tous les autres. Multa et divus Augustus digna memoriâ fecit, dixitque, ex quibus appareat illi iram non imperâsse. Timagenes historiarum scriptor, quædam in ipsum, quædam in uxorem ejus, et in totam domum dixerat, nec perdiderat dicta : magis enim circumfertur, et in ore hominum est, temeraria urbanitas [d]. Quoi qu’il en soit, les médisances de cet historien ne lui attirèrent qu’une très-petite disgrâce. Joignez à cela ce que j’ai cité ci-dessus [e]. Il n’y a rien de plus sensé que les raisons de Mécène, sur le mépris que cet empereur devait avoir pour les médisances [f]. Il lui conseille de n’écouter point les délateurs des satiriques, et de n’user point de punition. Allez voir dans Dion les fondemens de ce conseil. Le même historien vous apprendra pourquoi César ne répondit point aux injures que Cicéron et quelques autres divulguèrent contre lui [g]. Il crut que ces personnages cherchaient la gloire de s’égaler à celui dont ils médisaient, et qu’il valait mieux les priver de cet avantage en évitant de faire assaut de médisance avec eux. Son principe était contenu dans une harangue de Quintus Métellus Numidicus, si l’on en juge par ce discours d’Aulu-Gelle, que je ne voudrais pas néanmoins que l’on étendît jusqu’à Cicéron : Cum inquinatissimis hominibus non esse convicio decertandum, neque in maledictis adversùs impudentes et improbos velitandum, quia tantisper similis et compar eorum fias, dùm paria et consimilia dicas atque audias, non minùs ex oratione Q. Metelli Numidici sapientis viri cognosci potest, quàm ex libris et disciplinis philosophorum. Verba hæc sunt Metelli adversùs Cn. Manlium tribunum plebei, à quo apud populum in concione lacessitus jactatusque fuerat dictis petulantibus. Nunc quod ad illum

  1. Seneca, de Irâ, lib. III, c. XXII.
  2. Nommé Timagènes.
  3. Le chevalier de Méré, Discours de la Conversation, pag. 81, 82, édition de Hollande.
  4. Seneca, de Irâ, lib. III, cap. XXIII, pag. m. 570.
  5. Pag. 578, cit. (e) et (f).
  6. Voyez Dion Cassius, lib. LII, pag. m. 556.
  7. Idem, lib. XXXVIII, p. m. 71, 72.