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DISSERTATION

fait ici du tout rien qui vaille, si ce n’est la gazette tous les samedis, qui est une chose fort récréative et fort consolative aussi, en tant que cette babillarde ne dit jamais de mauvaises nouvelles, bien que nous en sentions beaucoup en cette saison [1]. Souvenons-nous de Pétrone qui a dit, Mundus universus exercet histrioniam ; et de ces vers de Politien, contre ceux qui condamnaient les comédies qu’on faisait représenter dans les colléges :

Sed qui nos damnant, histriones sunt maxumi.
Nam Curios simulant : vivant bacchanalia.
Hi sunt præcipuè quidam clamosi, leves,
Cucullati, lignipedes, cincti funibus :
Superciliosum, incurvicervicum pecus,
Quique ab aliis habitu et cultu dissentiunt,
Tristesque vultu vendunt sanctimonias :
Censuram sibi quandam, et tyrannidem occupant ;
Pavidamque plebem territant minaciis [2].

Prenez bien garde que la définition que l’évêque de Bellai donnait de la politique signifierait un fort grand défaut, si elle marquait les tromperies de souverain à souverain. Elles ne sont pas aussi rares qu’elles devraient l’être. J’ai lu là-dessus depuis trois jours une pensée qui a beaucoup de brillant ; la voici : Les politiques ont un langage à part et qui leur est propre ; les termes et les phrases ne signifient pas chez eux les mêmes choses que chez les autres hommes. Je ne sais si messieurs de l’académie ont compris l’art de la politique dans le nombre des arts et des sciences dont ils ont pris la peine de nous donner un dictionnaire. Cela serait, ce me semble, assez nécessaire. Par exemple, en terme de politique, jurer sur les saints évangiles qu’on observera tel ou tel traité, signifie quelquefois simplement qu’on le jure, et non pas qu’on l’observera en effet ; il signifie même quelquefois qu’on n’en fera rien : le commun des hommes n’entend pas ce langage ; mais les politiques l’entendent bien, et ils prennent leurs mesures selon cela [3]. J’ajoute que si messieurs de l’académie nous voulaient donner un dictionnaire qui comprit universellement tous les arts, ils se tailleraient une besogne inépuisable. Ils découvriraient tous les jours de nouveaux arts qui ont des termes d’une signification particulière. L’art des relations hebdomadaires est de ceux-là : l’art de la controverse en est aussi. Les mots ne s’y prennent pas dans leur sens commun : vous voyez des gens qui s’entre-accusent de dogmes affreux ; il répliquent et dupliquent, et ils trouvent de plus en plus réciproquement que la doctrine de leur adversaire est abominable [4]. Cette plainte paraît presque à chaque page, et alarme les lecteurs, comme s’il était à craindre qu’en ne remédiant pas promptement à cette gangrène on ne la mette en état de communiquer son infection à tout le corps. Ceux qui ne sont pas faits à ce style conçoivent mille scrupules ; ils craignent de n’avoir pas obéi au précepte de saint Paul, évite l’homme hérétique [5] ; car ils ont communiqué avec les parties contestantes. Qui aurait cru, disent-ils, que des docteurs qui mangent le pain des orthodoxes depuis si long-temps eussent nourri de tels monstres dans leur cœur ? on ne sait plus à qui se fier. Il faut que les uns ou les autres, ou peut-être les uns et les autres soient plutôt des loups déguisés que des bergers. Mais ayez un peu de patience, attendez que des experts, et que des arbitres initiés à ce langage, mettent la paix entre les parties, vous trouverez que les termes ne signifiaient rien moins que ce que vous aviez cru. Les accusateurs de part et d’autre seront déclarés orthodoxes : on ne les censurera point, on les avertira seulement de corriger quelques expressions incommodes qui leur étaient échappées. On suppose donc que dans le vrai ils ne se sont entre-accusés que de cela, et qu’ainsi les termes d’hérésie pernicieuse, et semblables, ne signifient chez eux qu’on mauvais choix de paroles. Souhaitons

  1. Patin, Lettre XL, 173, 174 du Ier. tome. Elle est datée de Paris 7 de juin 1650.
  2. Politianus, in Prologo in Plauti Menæchmos, ad calcem, epist. XV, lib. VII, folio m. 165 verso.
  3. Lettres historiques, mois de septembre 1696, pag. 251.
  4. Un petit écrit de Dorschéus, professeur en théologie à Strasbourg, intitulé Latrocinium Famæ Theologorum, contient quelques exemples de ceci. On y en pourrait ajouter bien d’autres.
  5. Épître à Tite, cap. III, vers. 10.