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ZABARELLA.

motu igitur absolutè accepto absque consideratione æternitatis nil aliud ostenditur, quàm dari primum motorem universi immobilem eo modo, quo animæ animalium brutorum sunt immobiles, hoc est, non per se mobilem ; quod autem nec per se, nec per accidens mobilis sit, proindè à materiâ adjunctus, et impartibilis, et infatigabilis, et sempiternus, id eâ ratione non ostenditur ; quapropter nullum aliud philosopho naturali medium relinquitur ad demonstrandum primum motorem æternum, nisi motus æternus ; quando enim sumimus motum universi unum et eundem numero æternum esse, statim inferimus, eum ab uno tantùm motore totum produci ; quare necesse est, motorem illum esse infatigabilem, et sempiternum[1].

Il ne serait point facile aux péripatéticiens de réfuter ces raisons de Zabarella : il argumente contre eux ad hominem, il se prévaut de leur doctrine sur les formes substantielles et sur la vertu motrice et primitive de l’âme des animaux[2]. Les modernes, qui ont rejeté avec raison ces dogmes-là, le réfuteraient sans peine, et ne trouvent rien d’épineux dans ses objections. Notez en passant combien peuvent être dangereuses et pernicieuses les conséquences de l’hypothèse des aristotéliciens sur l’activité interne des formes distinctes de la matière. C’est un dogme qui admet un nombre presque infini de premiers moteurs, et de là l’on peut passer aisément à la rejection d’un premier moteur universel, ou à dire qu’il est sujet à la mort. L’âme de chaque homme et de chaque bête est en son genre un premier mobile. Elle se meut elle-même, et imprime du mouvement au corps dont elle est la forme. On peut à proportion trouver le même principe dans les corps inanimés. La forme des corps pesans n’a besoin d’un moteur externe pour les pousser vers le centre, ni celle des corps légers pour les en faire éloigner. Elle est elle-même leur premier moteur à cet égard-là. Or, si une fois cette hypothèse des aristotéliciens est admise, il ne sera plus nécessaire d’un moteur universel des cieux ; chaque planète sera mue par sa forme, le ciel des étoiles fixes sera mû aussi par la sienne, et aucun de ces moteurs ne pourra passer pour indestructible, il sera sujet au destin : commun des formes, qui ne peuvent subsister après le dérangement de la matière qui leur est unie[3]. Zabarella, comprenant fort bien cette conséquence, a dit que l’âme du ciel périra un jour, attendu que la matière du ciel est composée de principes qui se choquent les uns les autres. Il est si évident que la matière est muable, que les anciens philosophes, qui ont cru que les génies n’étaient point entièrement séparés de la matière, les ont crus mortels, sans en excepter le plus grand de tous. Témoin l’histoire racontée par Plutarque, le grand Pan est mort[4]. Si Zabarella a su pénétrer les suites du dogme commun des écoles, il n’a pas eu moins de justesse lorsqu’il a dit que pour trouver un premier moteur éternel il faut s’arrêter à une cause qui soit unique, et qui ait produit tout le mouvement. C’est un avantage que l’on rencontre dans la philosophie cartésienne. Elle donne à Dieu toute la force motrice et immédiate de l’univers, et ne fait pas un partage de cette force entre le créateur et les créatures. La multitude de moteurs peut conduire insensiblement à l’athéisme le plus dangereux, et c’est de là, sans doute, qu’est sorti l’athéisme des philosophes chinois[5]. Ils croyaient au commencement un Dieu supérieur, immatériel et infini ; mais comme ils attribuaient de grandes vertus naturelles aux corps, et principalement aux célestes, ils ont oublié peu à peu

  1. Aristot., in VIII lib. Physic. auscultationis, pag. 257.
  2. La plupart des anciens philosophes ont cru que le caractère essentiel de l’âme était de se mouvoir elle-même. Voyez Aristote, de Animâ, lib. I, cap. II. Πᾶν γὰρ σῶμα, dit Platon, in Phædro, pag. m. 1221, D. ᾧ μὲν ἔξωθεν τὸ κινεῖσθαι, ἄψυχον᾽ ᾧ δὲ ἔνδοθεν αὐτὸ ἐξ αὑτοῦ ἔμψυχον. Omne enim cui motus extrinsecùs incidit, inanime est. Cui vero intùs ex seipso inest, animatum.
  3. Conférez avec ceci la comparaison faite tom. XIV, pag. 593 remarque (I) de l’article Xénocrate, entre les dieux de Xénocrate et les esclaves serviglebas.
  4. Plut., de Oracul. defectu, pag. 419. Voyez aussi la remarque (I) de l’article Chrysippe, tom. V, pag. 172.
  5. Voy. l’art. Spinoza, r. (X), t. XIII, p. 456.