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DISSERTATION

jour de plus, et que de l’autre côté c’est un gain que de revenir dans sa patrie avec un jour de moins. En matière de galanterie cette thèse passerait pour un principe ; et il n’y a point de perte plus considérable que celle d’amasser beaucoup d’années, ni de gain plus important que celui d’avoir moins vécu qu’un autre. La plupart des gens, suivant en cela le style de la galanterie, regardent comme un désavantage la supériorité qu’on a sur son prochain en nombre de jours. Mais autant que ces sortes de chicaneries pourraient servir dans une dispute où l’on ne chercherait qu’à plaisanter, autant seraient-elles inutiles dans une dispute comme celle de Michalor et de Putéanus : car il ne s’agissait pas entre eux de savoir si ceux qui font le tour du monde par l’orient ou par l’occident deviennent plus vieux ou plus jeunes de vingt-quatre heures que ceux qui ne bougent de leur maison. On sait assez que l’âge des uns et des autres est précisément ce qu’il serait s’ils étaient tous demeurés dans leurs logis : et que la seule raison pourquoi les uns comptent moins de jours que les autres est que les jours de ceux qui voyagent vers l’occident contiennent plus de vingt-quatre heures chacun, et que les jours des autres contiennent moins de vingt-quatre heures. J’avoue que si deux hommes nés en même jour commençaient à l’âge de quinze ans à faire le tour de la terre, l’un par l’orient et l’autre par l’occident, et qu’ils fissent trente tours chaque année, le premier se croirait âgé de cinquante-quatre ans lorsque le dernier ne se croirait âgé que de quarante-huit. Mais cette différence, qui en cas de mariage, si elle était effective, pourrait rendre le dernier de ces voyageurs un beaucoup meilleur parti que le premier, ne serait ici qu’une chimère. On serait fort attrapé si l’on comptait là-dessus : les voyages par l’occident ne sont point une fontaine de Jouvence qui recule la vieillesse ; et, à proprement parler, on ne gagne ni on ne perd aucun moment, de quelque côté que l’on fasse voile pour circuire le monde. Il est pourtant vrai qu’Érycius Putéanus s’était servi d’une expression très-impropre : car enfin ce serait fort mal parler que de dire que l’on gagne des années en comptant comme les chrétiens, et que l’on en perd en comptant comme les mahométans. C’est tout le contraire, vu que nos mille ans répondent à mille trente-deux années mahométanes, comme il paraît de ce que l’an 1622 était le 1032 de l’Hégire [a]. Cet exemple ôte toute la difficulté, parce que la même raison, qui diminue nos années par rapport à celles des mahométans, diminue aussi le nombre des jours de ceux qui font le circuit de la terre par l’occident. Cette raison est que les années de l’Hégire, étant lunaires, sont plus courtes d’onze jours que les nôtres.

IX. Auteurs qui ont fait la même faute que lui.

Putéanus n’a pas été le seul qui s’est abusé en cela. Je me dis

  1. C’est ainsi qu’on nomme l’ère ou l’époque des mahométans, qui commence à notre 15 de juillet 622.