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SUR LES ATHÉES.

ou par les historiens, ou par leurs écrits. La question roule uniquement sur les mœurs de cette classe d’athées ; c’est à l’égard de ceux-là que j’ai souhaité que l’on m’indiquât des exemples de mauvaise vie. Si j’en avais trouvé, j’en eusse fait une ample mention. Il n’y a rien de plus facile que de rencontrer dans l’histoire certains scélérats dont les actions abominables font presque trembler les lecteurs : mais néanmoins c’étaient des gens dont même les impiétés et les blasphèmes sont une preuve qu’ils croyaient la Divinité. Voilà une suite naturelle de la doctrine constante des théologiens, que le démon, la plus méchante de toutes les créatures, mais incapable d’athéisme, est le promoteur de tous les péchés du genre humain ; car, cela étant, il faut que la plus outrée méchanceté de l’homme ait le caractère de celle du diable, c’est-à-dire, qu’elle soit conjointe avec la persuasion de l’existence de Dieu. Une maxime des philosophes confirme ce raisonnement [1].

XIV. Si ce que je viens de dire est capable d’édifier les consciences tendres, puisqu’elles y verront que la thèse qui les avait effarouchées s’accorde très-bien avec les principes les plus orthodoxes, elles ne trouveront pas un moindre sujet d’édification dans ce que je vais proposer. Que les plus grands scélérats ne soient point athées, et que la plupart des athées dont le nom est parvenu jusques à nous, aient été honnêtes gens selon le monde, c’est un caractère de la sagesse infinie de Dieu, c’est un sujet d’admirer sa providence. Elle a voulu mettre des bornes à la corruption de l’homme, afin qu’il pût y avoir des sociétés sur la terre ; et si elle n’a favorisé de la grâce sanctifiante qu’un petit nombre de gens, elle a répandu partout une grâce réprimante [2] qui, comme une forte digue retient les eaux du péché autant qu’il est nécessaire pour prévenir une inondation générale, qui détruirait tous les états monarchiques, aristocratiques, démocratiques, etc. On dit ordinairement que le moyen dont Dieu s’est servi pour parvenir à ce but a été de conserver dans l’âme de l’homme l’idée de la vertu et du vice, et le sentiment d’une Providence qui prend garde à tout, qui punit le mal, et qui récompense le bien. Vous trouverez cette pensée dans les lieux communs de théologie, et dans une infinité d’autres ouvrages orthodoxes. Quelle est la suite naturelle de cette proposition ? N’est-ce pas de dire que s’il y a des gens que Dieu n’abandonne pas jusques au point de les laisser précipiter dans le système d’Épicure, ou dans celui des athées, ce sont principalement ces âmes féroces dont la cruauté, l’audace, l’avarice, la fureur et l’ambition, seraient capables de ruiner bientôt tout un grand

  1. Ἀεὶ δι´ ὃ ὑπάρχει ἕκαςον, ἐκεῖνο μᾶλλον ὑπάρχει. Propter quòd unumquodque est tale, illud semper est magis tale. Aristot., Analyt. Poster. lib. I, cap. II, pag. m. 105. Vide etiam Metaphys., lib. II, cap. I, pag. 645, F.
  2. J’ai su d’un théologien que c’est sous cette idée que l’on parle de la providence de Dieu, en tant qu’elle n’a point permis que les crimes se débordassent jusques à la destruction des sociétés.