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SUR LES PYRRHONIENS.

point des mouvemens humains, cela vient de Dieu. Point de raison ! c’est la vraie religion cela ! Point de raison ! que Dieu vous a fait, monseigneur, une belle grâce ! Estote sicut infantes, soyez comme des enfans. Les enfans ont encore leur innocence ; et pourquoi ? parce qu’ils n’ont point de raison. Beati pauperes spiritu, bienheureux sont les pauvres d’esprit. Ils ne pèchent point : la raison est, qu’ils n’ont point de raison. Point de raison, je ne saurais que vous dire, Je ne sais pourquoi : les beaux mots ! Ils devraient être écrits en lettres d’or. Ce n’est pas que j’y voie plus de raison ; au contraire moins que jamais ! en vérité, cela est divin pour ceux qui ont le goût des choses du Ciel. Point de raison ! que Dieu vous a fait, monseigneur, une belle grâce [1] ! Qu’on donne un air plus sérieux et plus modeste à cette pensée, elle deviendra raisonnable. En voici la preuve. Je la tire d’un ouvrage où l’on a examiné quelques pensées de M. de Saint-Évremond ; celle-ci entre autres, que notre entendement n’est pas assez convaincu de la religion.

« Pour répondre clairement à cela, il faut remarquer un principe commun parmi les théologiens. L’esprit se porte à la croyance des mystères d’une manière toute différente de celle qui lui donne la connaissance évidente des choses naturelles. Il connaît les dernières par démonstration, et il croit les mystères, fondé sur les motifs de crédibilité, tels que sont les miracles qu’ont faits Jésus-Christ et les apôtres, la croyance unanime de tous les fidèles depuis dix-sept siècles, etc. Tous lesquels motifs doivent nous porter à croire prudemment la foi que l’église nous propose : et cela explique bien ces paroles de saint Paul, que nous voyons dans la vie présente les mystères comme des énigmes, en attendant de les voir évidemment dans le ciel. Mais M. de S.-E. demande des démonstrations. Il ne veut donc point de foi. Saint Thomas [* 1] dit expressément en quelques endroits de sa Somme, que personne ne doit se mettre en état de démontrer les mystères de la religion ; et ajoute en d’autres chapitres que quand les pères ont prouvé la foi ils n’ont point prétendu que leurs raisons fussent démonstratives, mais seulemens des motifs solides pour nous porter à croire les articles qui nous sont proposés. Pourquoi, dit M. de S.-É. ne pas éclairer notre raison ? C’est, comme dit saint Thomas, parce que la raison doit se soumettre à la foi. Et là-dessus il me tombe dans l’esprit quelques oracles de Pierre de Blois dans son épitre 140, écrite à Pierre le Diacre, qui était auprès du roi d’Angleterre. Après lui avoir parlé du mystère de la Transsubstantiation : La raison, ajoute-t-il, ne va pas jusque-là ; mais nous y allons par la foi, et par

  1. (*) Ire. partie, qu. 1, a 8 ad 2.
  1. Conversation du maréchal d’Hocquincourt, avec le père Canaye, parmi les Œuvres mêlées de M. de Saint-Evremond, tom. IV, pag. 209, édit. de Hollande, 1693.