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SUR LES PYRRHONIENS.

est de connaître que si elle est capable d’inventer des objections, elle est incapable d’en trouver le dénoûment, et qu’en un mot ce n’est point par elle que l’Évangile s’est établi. « Il n’y a que la foi qui puisse enseigner cette divine philosophie [* 1], qu’aucun des grands du siècle n’avait encore connue. C’est être éclairé que d’ouvrir les yeux à une lumière si pure. Ce ne fut point à force de syllogismes et d’argumens, que cette philosophie se fit écouter aux hommes : ce fut par sa simplicité, et par l’ignorance de ceux qui l’annoncèrent au monde... La foi ayant détrompé l’homme des fausses lueurs qui avaient brillé dans la philosophie des pains, elle l’accoutuma à ne plus raisonner sur les choses que Dieu n’a pas voulu soumettre au raisonnement, et elle lui apprit qu’il vaut mieux ne pas savoir ce que Dieu a voulu lui cacher, et adorer avec une ignorance respectueuse les secrets qu’il ne nous a révélés, que d’entreprendre de sonder cet abîme de lumières, par la témérité de nos conjectures, et par les faibles vues de notre raison. Ce fut à ce divin rayon de la foi, que le fidèle prit plaisir de sacrifier toutes ces insolentes curiosités, qui lui faisaient examiner trop témérairement les ouvrages de Dieu en examinant la nature ; et d’étouffer toutes les vues de cette orgueilleuse raison, qui l’attache à la créature, pour la révolter contre le Créateur. Ce fut aux rayons de cette lumière toute céleste que le chrétien comprit qu’il valait mieux se soumettre que de raisonner en matière de religion ; que la petitesse d’esprit était quelque chose de plus avantageux, pour être fidèle, que toute la force de la pénétration de l’entendement ; et que la simplicité de la foi était préférable à tout l’éclat de la science : parce qu’enfin les ouvrages de Dieu qui portent plus les marques de sa toute-puissance, et son caractère, sont ceux que nous comprenons le moins : qu’ainsi rien n’est plus juste que d’humilier sa raison, et la soumettre aux lumières de la raison éternelle, qui est la règle de toutes les raisons, puis qu’aussi-bien il n’y a point de science qui ne demande de la soumission pour l’établissement de ses principes [1]. » Je finis per deux très-belles pensées de M. de Saint-Évremond. « Aux choses qui sont purement de la nature, c’est à l’esprit de concevoir, et sa connaissance procède de l’attachement aux objets. Aux surnaturelles, l’âme s’y prend, s’y affectionne, s’y attache, s’y unit, sans que nous le puissions comprendre. Le ciel a mieux préparé nos cœurs à l’impression de la grâce, que nos entendemens à celle de la lumière. Son immensité confond notre petite intelligence. Sa bonté a plus de rapport

  1. (*) Veritas per Cristum. Johan. cap. I. Loquimur sapientiam quam nemo principum hujus sæculi novit. Paul. 3, Cor. c. 6
  1. Rapin, Réflexions sur la Philosophie, pag. m. 447.