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SUR LES OBSCÉNITÉS.

pion Dupleix chercha-t-il quelques détours ou quelques ménagemens dans l’ouvrage intitulé, La Curiosité naturelle rédigée en questions selon l’ordre alphabétique ? N’expliqua-t-il point les choses avec les termes les plus naturels du monde ? Que perdit-il par cet ouvrage ? rien du tout. On ne finirait jamais si l’on s’engageait à donner la liste de tous les jurisconsultes qui, dans des procès d’adultère ou d’impuissance, ont allégué bien des saletés, sans nul préjudice de leur réputation. J’en ai nommé trois ou quatre, Antoine Hotman, Sébastien Roulliard, Vincent Tagereau, et Anne Robert [1]. Cela suffit : nommons quelques personnes d’un autre ordre.

Les Hollandais jetteraient la pierre sur quiconque voudrait diffamer Secundus [* 1] sur le pied d’un scélérat, et d’un fripon, ou le rayer pour le moins du catalogue des honnêtes gens, sous prétexte qu’il a fait des vers lascifs jusques à l’excès [2]. Ramirez de Prado, qui a fait des notes sur Martial, imprimées à Paris avec privilége du roi, l’an 1607, et parsemées d’explications impudiques, n’a rien perdu pour cela ni de sa réputation ni de sa fortune, non plus que Gonzales de Salas pour son commentaire de même genre sur un écrivain impur [3]. Joubert, chancelier de l’université de Montpellier et médecin du roi de France et de celui de Navarre, quels honneurs, quels appointemens, quelles dignités perdit-il pour avoir mêlé des obscénités dans son livre des Erreurs populaires ? Est-il moins compté pour cela parmi les hommes illustres, et parmi les hommes de bien et d’honneur ? La Callipédie de Quillet l’empêcha-t-elle d’être gratifié d’une abbaye par le cardinal Mazarin [4] ? Feramus, avocat au parlement de Paris, n’éprouva pas que son mérite fût moins loué ni moins reconnu depuis qu’il eut fait des vers contre Montmaur, où il s’égaya sur des fictions bien obscènes. Et pour nous approcher davantage de notre temps, M. de La Fontaine, auteur d’une infinité de Contes lascifs, a-t-il cessé d’être chéri de tout le monde à la cour et à la ville ? Les grands seigneurs et les princes, les dames du plus haut rang, les personnes de robe les plus illustres l’ont toujours caressé et admiré. Ne fut-il pas admis à l’académie française ? et n’est-ce pas pour un homme de sa sorte ce qu’est aux hommes d’épée le bâton de maréchal ? Je ne doute point que M. de la Reinie ne se fût fait un plaisir de lui donner à dîner le jour même qu’il condamna ses nouveaux Contes [5] ; car dans cette

  1. * Jean Second.
  1. Voyez les articles Quellenec, tom. tom. XII, pag. 373, et Robert, idem, pag. 546
  2. Voyez touchant Grotius, qui a fait des vers lascifs, Rivet., Oper. tom. III, p. 1112, 1224. Grot. in Discuss. Rivet. Apolog., p. 237.
  3. C’est Pétrone.
  4. Voyez ci-dessus les remarques (C) et (D) de l’art. Quillet, t. XII, p. 394 et 395.
  5. Ce fut le 5 d’avril 1675. Vous trouverez la sentence à la fin du IIIe. Factum de Furetière. Elle défend le débit du livre, et ordonne qu’il soit informé de l’impression, vente et débit. Ce que l’on a pu dans mes Réflexions sur le Jugement du Public, etc., pag. 14, (pag. 266 de ce volume, que les Contes de la Fontaine ont été condamnés au feu par sentence du Châtelet de Paris, m’avait été assuré par un homme qui ve-