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SUR LES OBSCÉNITÉS.

ni pour un écrivain dameret. C’est assez qu’elles soient autorisées de l’usage des livres d’anatomie, et des factums des avocats, et des conversations des gens de lettres [1].

X. Mais pour montrer plus évidemment que l’affaire dont il s’agit ne regarde point les mœurs, il faut prévenir une instance de mes critiques. Voyons s’ils se peuvent appuyer sur ce prétexte, que toute phrase qui blesse la pudeur est un attentat contre la bonne morale, puisque c’est faire du tort à la chasteté.

Je fais d’abord cette remarque, que ceux qui disent que certaines choses blessent la pudeur doivent entendre, ou qu’elles affaiblissent la chasteté, ou qu’elles irritent les personnes chastes. On leur peut soutenir qu’au premier sens leur proposition mérite d’être rejetée, et que si les femmes sont prises pour juges de la question, ils perdront leur procès infailliblement. Or sans doute les femmes sont les juges les plus compétens d’une telle affaire, puisque la pudeur et la modestie sont leur partage incomparablement plus que celui des hommes. Qu’elles nous disent donc, s’il leur plaît, ce qui se passe dans leur âme lorsqu’elles entendent ou lorsqu’elles lisent un discours grossier qui offense ou qui blesse la pudeur. Elles ne diront pas, je m’assure, que non-seulement il imprime des idées sales dans leur imagination, mais qu’il excite aussi dans leur cœur un désir lascif qu’elles ont bien de la peine à réprimer, et qu’en un mot elles se sentent exposées à des tentations qui font chanceler leur vertu, et qui la mènent jusqu’au bord du précipice. Soyons bien persuadés qu’au lieu de cela elles répondront que l’idée qui s’excite malgré elles dans leur imagination leur fait sentir en même temps ce que la honte, le dépit, et la colère ont de plus insupportable. Or il est sûr que rien n’est plus propre que cela à fortifier la chasteté, et à rompre l’influence contagieuse de l’objet obscène qui s’est imprimé dans l’imagination ; de sorte qu’au lieu de dire selon le premier sens que ce qui blesse la pudeur met en risque la chasteté, il faut soutenir au contraire que c’est un renfort, un préservatif, et un rempart pour cette vertu ; et par conséquent si nous entendons de la seconde manière cette phrase une telle chose blesse la pudeur, nous devrons penser que cette chose, bien loin d’affaiblir la chasteté, la fortifie, et la restaure.

Il sera toujours vrai que le procès qu’on peut faire à un auteur qui n’a pas suivi la politesse la plus raffinée du style est un procès de grammaire à quoi les mœurs n’ont point d’intérêt.

XI. Si l’on me réplique que c’est un procès de morale, vu que l’auteur s’est exprimé d’une manière qui chagrine les lecteurs, je répliquerai qu’on raisonne sur une fausse hypothèse, car il n’y a point d’écrivain qui puisse épargner à ses lecteurs le dépit, le chagrin, et la colère, en mille rencontres. Tout controversiste qui soutient subtile-

  1. Comme celles de la Mercuriale de M. Ménage.