Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
364
ÉCLAIRCISSEMENT

coup contre ceux qui disent qu’aux dépens mêmes de la vérité il faut ménager l’imagination du lecteur. Ce prélat, qui est au reste si ennemi des grossièretés du style qu’il n’ose employer le mot de paillarde sans en faire excuse [1], n’a point cru que les folies épouvantables et obscènes de la dame Guyon dussent être supprimées.

Je ne veux pas dire que généralement tous les protestans qui en ont usé de la manière que j’ai rapportée veuillent assujettir les historiens, les compilateurs et les commentateurs au joug des puristes. Je crois seulement que plusieurs d’entre eux le prétendent dans la thèse ; mais puisqu’ils approuvent ensuite dans l’hypothèse ce qu’ils avaient condamné, leur goût ni leur témoignage ne me sauraient nuire ; et je puis entièrement me prévaloir de l’opinion de tous les autres qui sont d’accord avec eux-mêmes et sur l’hypothèse et sur la thèse.

On ne peut point prétendre que pour le bien de l’église il faut souffrir qu’un auteur avance des choses qui salissent l’imagination, et qu’en un tel cas il est louable de le faire. Cela, dis-je, ne peut être allégué ; car si le débit des choses qui salissent l’imagination était mauvais en lui-même, on ne pourrait l’employer pour le profit de la bonne cause sans violer un commandement de Dieu qui porte qu’il ne faut point faire du mal afin qu’il en arrive du bien [2].

Voyons la seconde observation. N’ai-je pas contrevenu à ce beau précepte d’Isocrate : Croyez que tout ce qui est malhonnête à faire est malhonnête à dire [3] ? Et ce précepte ne doit-il point servir de loi à tous les chrétiens, puisque saint Paul veut que ce qui est sale ne soit pas même nommé entre eux [4] ? Je réponds que cet excellent axiome ne condamne que la mauvaise coutume (I), qui règne parmi les jeunes gens et parmi les hommes mariés, de parler à tout propos de leurs plaisirs impudiques, et de s’entretenir effrontément de tout ce qui appartient à cette espèce de volupté. Il est bien sûr pour le moins que ce grand apôtre n’a point prétendu défendre de parer sérieusement, honnêtement, historiquement, d’une action impure. Il n’a point ôté la liberté aux pères et aux mères d’interroger leurs enfans sur les histoires de la Bible, et de leur faire réciter qu’ils ont retenu que la fille de Jacob fut violée ; qu’un fils de David viola sa propre sœur [* 1], etc. Rien n’est plus

  1. * Dans le Mystère du Viel Testament, représenté comme tant d’autres pièces de ce genre au XVIe. siècle, on allait plus loin qu’une récitation ; car l’action du fils de David était presque mise sous les yeux des spectateurs. Voyez une Dissertation sur les anciens jeux des mystères, par M. Berriat Saint-Prix, dans le tom. V des Mémoires de la Société royale des Antiquaires, p. 163 et suiv.
  1. Ce saint apôtre a bien pris garde de ne pas nommer la prostituée dont il parle une adultère, μοιχάδα, μοιχαίδα, mais une femme publique ; et, si l’on veut me permettre une seule fois ces noms odieux, une paillarde, une prostituée, πόρνης. M. de Meaux, préface sur l’Apocalypse, pag. 27, édit. de la Haye.
  2. Épître aux Rom., chap. III, vers. 8.
  3. Ἃ ποιεῖν αἰσχρὸν, ταῦτα νόμιζε μηδὲ λέγειν εἶναι καλόν. Quæ factu sunt turpia, ne dictu quidem decora esse puta. Isocrates ad Demonicum, pag. m. 6.
  4. Epître aux Ephés., chap. V, vers. 4.