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ZEUXIS.

dément du monde s’ils étaient beaux et bien faits partout ; car ils étaient nus : et comme il en parut très-content, on lui fit entendre qu’il pouvait juger par-là s’il y avait de belles filles dans la ville, puisqu’on avait les sœurs des garçons qui lui paraissaient les plus admirables. Alors il demanda à voir les plus belles, et le conseil de ville ayant ordonné que toutes les filles vinssent en un même lieu, afin que Zeuxis choisit celles qu’il voudrait, il en choisit cinq ; et prenant de chacune ce qu’elle avait de plus beau, il en forma le portrait d’Hélène. Ces cinq filles furent fort louées par les poëtes de ce que leur beauté avait obtenu le suffrage de l’homme du monde qui s’y devait connaître le mieux [a] (E), et leur nom ne manqua point d’être consacré à la postérité. Je pense pourtant qu’il n’en reste plus aucune trace. Cicéron, qui nous apprend toutes ces choses, a laissé à deviner à son lecteur que le peintre voulut voir toutes nues ces cinq jeunes beautés : mais Pline l’a dit expressément ; et même qu’avant d’en choisir cinq, il les avait vues toutes en cet état [b]. Il est vrai qu’il veut que Zeuxis ait travaillé pour les Agrigentins, et non pas pour les Crotoniates, et qu’il ne dit point de qui était le portrait : à cela près on voit qu’il rapporte la même histoire que Cicéron. Il ne faut pas oublier que Zeuxis ayant disputé le prix de la peinture avec Parrhasius, le perdit [c] (F) ; voici comment. Zeuxis avait si bien peint des raisins, que les oiseaux fondaient dessus pour les becqueter. Parrhasius peignit un rideau si artistement, que Zeuxis le prit pour un vrai rideau qui cachait l’ouvrage de son antagoniste, et tout plein de confiance il demanda que l’on tirât vite ce rideau, afin de montrer ce que Parrhasius avait fait. Ayant connu sa méprise, il se confessa vaincu, puisqu’il n’avait trompé que les oiseaux, et que Parrhasius avait trompé les maîtres mêmes de l’art. Une autre fois il peignit un garçon chargé de raisins : les oiseaux volèrent encore sur ce tableau : il s’en dépita, et reconnut ingénument que son ouvrage n’était pas assez fini, puisque s’il eût aussi heureusement représenté le garçon que les raisins, les oiseaux auraient eu peur du garçon. On dit qu’il effaça les raisins, et qu’il ne garda que la figure où il avait le moins réussi [d]. Archélaüs, roi de Macédoine, se servit du pinceau de Zeuxis pour l’embellissement de son palais ; on peut voir là-dessus une bonne réflexion de Socrate dans Élien [e]. L’un des meilleurs tableaux de ce peintre était un Hercule étranglant des dragons dans son berceau, à la vue de sa mère épouvantée : mais il estimait prin-

  1. Quarum nomina multi poetæ memoriæ tradiderunt, quòd ejus essent judicio probatæ qui verissimum pulchritudinis habere judicium debuisset. Cicer., lib. II de Invent.
  2. Tantus diligentiâ ut Agragantinis facturus tabulam quam in templo Junonis Laciniæ publicè dicarent, inspexerit virgines eorum nudas et quinque elegerit, ut quod in quâque laudatissimum esset picturâ redderet. Plin., lib. XXXV, cap IX.
  3. Idem, ibid., cap. X.
  4. Senec., Controv. V, lib. V.
  5. Ælian., Var. Hist., lib. XIV, cap. XVII.