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ZEUXIS.

Au fond ce peintre n’avait besoin que de son imagination pour faire le portrait d’une beauté achevée ; car il est certain que nos idées vont plus loin que la nature. Ego sic statuo nihil esse in ullo genere tam pulchrum quo non pulchrius id sit undè illud ut ex ore aliquo quasi imago exprimatur, neque oculis, neque auribus, noque ullo sensu percipi potest, cogitatione tantùm et mente complectimur..... Nec verò ille artifex (Phidias) quum faceret Jovis formam aut Minervæ, contemplabatur aliquem à quo similitudinem duceret, sed ipsius in mente insidebat species pulchritudinis eximia quædam, quam intuens, in eâque defixus, ad illius similitudinem artem et manum dirigebat [1]. Il ne serait pas plus impossible de trouver des hommes aussi parfaits que les héros de roman, que de trouver des femmes aussi belles que les héroïnes du même pays. Cela est si vrai, que quand les auteurs veulent représenter en peu de mots une personne parfaitement belle, ils se contentent de dire qu’elle surpasse les idées des poëtes et celles des peintres [2].

(F) Zeuxis ayant disputé le prix de la peinture avec Parrhasius, le perdit. ] Ordinairement on rapporte avec peu de netteté le fait qui concerne les oiseaux que Zeuxis trompa par des raisins en peinture. Si l’on consultait bien Pline, on ne tomberait pas dans la confusion ; car on verrait que Zeuxis fit deux différens tableaux qui se rapportent à ce fait, et qui eurent chacun leur aventure particulière. Je ne remarque point que beaucoup d’auteurs racontent que Zeuxis voulut tirer lui-même le rideau de Parrhasius : ce n’est pas ainsi que Pline rapporte la chose ; mais c’est une altération des circonstances trop petite pour en parler. On a beaucoup plus de raison de trouver étrange que le Dictionnaire de Moréri ne dise rien du défi ou de la gageure de ces deux peintres, et MM. Lloyd et Hofman n’en disent qu’un petit mot. Pour ce qui regarde l’autre tableau, où un garçon portait des raisins, M. Moréri en a parlé d’une manière qui ne lui saurait faire d’honneur, puisqu’il en a retranché les principales circonstances, n’ayant rien dit du jugement que Zeuxis porta lui-même de ce tableau. M. Hofman n’a pas oublié cela ; mais il s’est servi d’une phrase qu’il devait entièrement supprimer : eâdem ingenuitate, dit-il, processit (Zeuxis) iratus opert ac dixit. Ces paroles sont de Pline, et font un très-bel effet dans l’original, où elles ont relation à l’histoire de la gageure, c’est-à-dire au narré de Pline, touchant l’ingénuité avec laquelle Zeuxis avoua qu’il était vaincu. Mais lorsque dans un article où il n’y a rien de cette ingénuité, on nous vient apprendre que Zeuxis reconnut avec la même ingénuité, etc., on nous jette dans des ténèbres impénétrables, où nous pouvons seulement conjecturer que l’on nous donne une pièce toute tronquée. Presque tous les abréviateurs sont sujets à ce défaut [3]. M. Hofman est ici beaucoup plus excusable que M. Lloyd ; car quand ce dernier a gardé la phrase, eâdem ingenuitate processit, qu’il trouvait dans Charles Étienne, il lui était aisé de sentir qu’on la rapportait à une chose à quoi le lecteur de Charles Étienne était renvoyé. M. Lloyd a supprimé ce renvoi, et par ce moyen il a mis plus de ténèbres dans son article. Ce n’est pas que je prétende excuser entièrement Charles Étienne ; car son ut in Parrhasio suprà vidimus, ne lui pouvait pas donner droit de se servir de ces termes eâdem ingenuitate processit, puisqu’il ne venait pas de parler du succès de la gageure. L’article de Zeuxis est beaucoup meilleur dans Calepin [4] que dans tous les

    D’ieux Lyncéens ne voy :
    Regarde plus qu’Hypsée aveugle les parties,
    Qui plus laide y sont.
    Esbaby tu t’escries :
    Ô La greve, ô les bras, mais long nés et courts flans,
    Et gresle cuisse ell’ a avecques les piés grands.

  1. Cicero, in Oratore, init.
  2. Lateri applicat meo mulierem omnibus simulacris emendatiorem. Pétrone.

    Spondebatque ducem celsi nitor igneus oris,
    Membrorumque modus qualem nec carmina fingunt
    Semidoïs.
    Claudian. de Laudib. Stilicon., lib. I.

  3. On en voir des exemples dans le livre de M. Gronovinus de Pernicie Judæ. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, 1684, mois de mai, art. VI.
  4. Il y faut corriger la citation de Pline,