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VIE DE M. BAYLE.

les communs malheurs de leur fuite devraient avoir réunie ; il tâche de cantonner, pour ainsi dire, son parti. Les haines qu’il sème, et qu’il nourrit avec tant de soin, sont autant de barrières pour les tenir séquestrés. Il s’est érigé en inquisiteur général pour acquérir de la gloire aux dépens de la réputation de ses frères. Il se comporte en évêque universel. Il a armé les églises les unes contre les autres ; et par les querelles dont il a été l’auteur il a ravalé et abaissé la gravité et la dignité des assemblées ecclésiastiques. D’un côté, l’on a vu les membres du synode d’Amsterdam et de Leyden se plaindre devant le public que ces deux compagnies, engagées par M. Jurieu, avaient commis des iniquités, et, qui pis est, des faussetés que l’on n’a pu excuser jusqu’à présent ; et de l’autre, M. Jurieu, mal satisfait du synode de Ziriczée, adressa un imprimé plaintif à MM. les états, où il accuse cette assemblée de violence, d’oppression, de toutes sortes d’excès, et d’avoir entrepris de violer toutes les lois fondamentales de la liberté de l’église et de l’état. Rien n’avilit davantage les compagnies que ces accusations réciproques, qui les décrient et les déshonorent. M. Jurieu est la cause originaire de tous ces désordres ; il accuse, il frappe à droite et à gauche. Il déclare que les conseils de ses amis, qui lui remontrent qu’il devrait laisser le monde en repos, sont des conseils de la chair et du sang [a]. Il ne prend plus la plume que pour faire des libelles diffamatoires, et il n’a pas plus tôt mis les armes bas, qu’il les reprend à la première occasion. Il est toujours l’agresseur et le poursuivant ; il emploie le fer et le feu pour exterminer tout ce qui ne reconnaît point son empire despotique ; il appelle à son aide la fraude et la calomnie, et sous les étendards de la religion il irait volontiers extirper, à la façon de l’interdit, tout ce qui refuse de plier les genoux devant lui. Assurément M. Jurieu a fait à un bon nombre de fugitifs un nouveau genre de persécution, peut-être plus sensible que celle qui les a chassés de leur patrie. Il leur a ravi le repos qu’ils étaient venus chercher dans l’exil ; et pour comble de leur malheur et de leurs misères, ils ont trouvé dans leur propre nation un injuste oppresseur, qui, sous d’autres noms, leur fait éprouver les iniquités du zèle furieux contre lequel ils cherchaient un asile. »

(R p. 256) La plus grande partie des protestans soutiennent hautement la même chose. ] Ceux qui entreprirent de réfuter M. Bayle par les principes des arméniens n’osèrent pas nier que sa doctrine ne fût la même que celle des réformés. Ils se retranchèrent seulement à dire qu’il avait de mauvaises intentions. Ils attaquaient cependant le sentiment des réformés, et prétendaient qu’il donnait lieu aux objections de M. Bayle. M. Jaquelot, ayant vu que M. Jurieu déclarait que c’était en vain qu’on exaltait le libre arbitre de l’homme, et que cette hypothèse n’était pas capable de résoudre les difficultés [b], fit une addition à son dernier livre, dans laquelle il chargea le système de M. Jurieu de toutes les conséquences des manichéens. C’est ainsi que les adversaires de M. Bayle se réfutaient les uns les autres, et lui adjugeaient tour à tour la victoire. « Je ne conçois pas, dit M. Jaquelot [c], comment un théologien qui a bien compris les difficultés de M. Bayle contre les hypothèses de ceux qui se contentent pour toute réponse d’imposer silence à la raison, ne s’aperçoit point qu’il s’ensuit de cette méthode que la raison humaine serait convaincue par des conséquences légitimes et nécessaires que Dieu est la cause du mal, et l’auteur du péché. Il déclare que [d] tous ceux qui ne voudront pas abandonner les hypothèses sur lesquelles M. Bayle a fondé ses difficultés sont obligés indispensablement de montrer la fausseté de ses conséquences et de ses objections, d’une ma-

  1. Apologie du sieur Jurieu, p. 25, col. 2.
  2. Voyez ci-dessus, pag. 250.
  3. Addition à l’Examen de la théologie de M. Bayle, etc., pag. 475, 476.
  4. Ibid, pag. 478.