mots l’idée d’un livre, sans fatiguer le lecteur par un mauvais choix, ou par de froides et ennuyeuses réflexions. Il était sage et retenu dans ses jugemens, ne voulant ni choquer les auteurs, ni se commettre en prostituant les louanges [1]. » On trouva d’abord qu’il louait trop, et cela l’obligea à être plus économe de ses louanges [2]. Il recevait avec plaisir les avis qu’on lui donnait, et en savait profiter. Cet ouvrage fut reçu avec un applaudissement universel. M. Bayle s’était flatté qu’il ne serait pas défendu en France : cependant il le fut ; mais cette défense n’empêcha pas qu’il n’y en passât tous les mois un grand nombre d’exemplaires. Tout le monde s’empressait à le lire.
Les états de la province de Frise, qui connaissaient M. Bayle par sa Lettre sur les comètes [3], le nommèrent le 29 de mars, pour être professeur en philosophie dans l’académie de Franeker, avec neuf cents florins d’appointement [4]. Leur résolution lui fut communiquée par une lettre du 21 d’avril, qu’il reçut le 9 de mai. Il y répondit le lendemain, et demanda quelque temps pour délibérer : mais le 9 de juin, il écrivit une lettre de remercîment, et refusa des appointemens qui étaient presque le double de ceux qu’il recevait.
Pendant que M. Bayle délibérait sur la vocation de Franeker, il apprit [5] la mort de son frère Joseph. C’était un jeune homme très-estimable. Après avoir commencé ses études de théologie à Puylaurens, il alla à Genève en 1682 pour les achever, et y demeura plus d’un an. Il partit ensuite pour Paris, où on le demandait [6] pour être gouverneur de M. Dusson, fils de M. le marquis de Bonac [7]. Il y mourut le 9 de mai 1694, regretté de tous ceux qui le connaissaient [8]. Il joignait à beaucoup d’esprit et de pénétration, un grand fonds de piété et de modestie. Il était savant, laborieux, et capable d’augmenter le nombre des hommes illustres. M. Bayle l’aimait tendrement, et il en était tendrement aimé. Il ressentit très-vivement cette perte. « Je vous suis infiniment obligé, dit-il à M. Lenfant [9], de la part que vous avez prise à la mort de mon pauvre frère. Tout le monde m’en écrivait ou m’en disait beaucoup de bien. Je l’aimais tendrement, et il m’aimait peut-être encore davantage. Dieu soit loué qui l’a voulu retirer de ce monde, et me priver des consolations que j’en attendais ! Vous avez perdu un bon ami, qui vous
- ↑ Éloge de M. Bayle, par M. de Beauval.
- ↑ Voyez l’avertissement mis à la tête, du mois d’août 1684.
- ↑ Voyez l’avertissement de l’addition aux Pensées diverses sur les comètes.
- ↑ Dans la première édition de ces mémoires, on a donné une copie authentique de la résolution des états de Frise ; mais comme elle est en flamand, on a cru pouvoir se dispenser de la répéter ici. [V. mon Discours préliminaire.]
- ↑ Le 16 de mai.
- ↑ Lettres à M. Minutoli, du 9 de juillet 1682, p. 183 ; et du 15 de juillet 1683, p. 197, 198.
- ↑ Voyez, dans le Dictionnaire ; l’article Auriège, tom. II, p. 580.
- ↑ Voyez la lettre de M. le comte de Dhona à M. Bayle, du 28 de septembre 1684, p. 227, 228.
- ↑ Lettre du 8 d’août 1684, p. 219, 220.