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ACHILLE.

taient répandues sur les personnes de son sexe[* 1] (P). Nous verrons dans l’article suivant ce qu’il fit après sa mort, et un miracle qu’il opéra dont Tertullien a parlé. Je vous renvoie à l’Homericus Achilles de feu M. Drelincourt [a], comme à un recueil de littérature le plus complet qui se puisse voir touchant ce héros du paganisme.

  1. * L’édition de 1697 contient de plus ces mots qui finissent la phrase : « et qu’il avait pris ses licences en l’une et l’autre facultés : Jusvis utriusque licentiatus doctor in utroque. »
  1. Imprimé à Leide, l’an 1693. Voyez l’Histoire des ouvrages des Savans, mai 1693, pag. 511.

(A) De la moelle de lion, ou de celle de quelques autres bêtes sauvages. ] Libanius en trois endroits[1], et Priscien, en un endroit[2], ne parlent que de la moelle de lion : Grégoire de Nazianze y joint la moelle de cerf[3] : le scoliaste d’Homère celle d’ours[4] : l’auteur du grand Etymologicum ne parle que de la moelle de cerf[5] : Apollodore parle de celle de sanglier et de celle d’ours, et y joint les entrailles de lion[6] : Stace joint ensemble les entrailles et la moelle du lion, ou, selon la leçon de quelques vieux manuscrits, les entrailles de lion et la moelle de louve[7]. Philostrate joint au miel et au lait la moelle des faons de biche et la moelle des chevreuils[8] : Tertullien se contente de parler simplement et d’une manière indéterminée de moelle de bêtes sauvages[9] : Eustathius s’exprime d’une façon encore plus vague, puisqu’il ne parle que de moelle d’animaux[10] : Suidas dit simplement moelle[11].

Au reste, c’est une tradition si vulgaire parmi les anciens, que Chiron nourrit Achille de moelle de lion, qu’on ne saurait assez admirer qu’un aussi savant homme que l’était M. de Girac, ait accusé M. Costar d’une grossière ignorance[12], pour s’être servi de ces paroles : Vous vous étiez nourri dès votre enfance du suc, de la substance et de l’âme des bons livres, tout ainsi qu’Achille de la moelle des lions. M. de Girac fait là-dessus une demande qui n’est pas d’un critique exact, puisqu’elle change l’état de la question et qu’elle fait dire à M. Costar plus qu’il n’a dit. est-ce qu’il a trouvé, dit-il, qu’Achille ne se nourrissait que de la moelle des lions ? Mais voici bien pis : ayant allégué entre plusieurs autres raisons, pour soutenir son sentiment, que, selon Plutarque, Achille fut nourri de choses qui n’ont point de sang, il ajoute, qu’il ne croit point qu’aucun auteur digne de foi ait écrit qu’Achille fut nourri de moelle de lion : et néanmoins, il cite lui-même tout aussitôt saint Grégoire de Nazianze remarquant que saint Basile n’avait pas eu comme Achille un centaure auprès de soi, qui lui présentât des moelles fabuleuses de lions et de cerfs. Ce qui fait voir, poursuit M. de Girac, que saint Grégoire a tenu cela pour une chose feinte et impossible. Soit ; mais il ne laissera pas d’être un témoin digne de foi, car, pour l’être en ces choses-là, il n’est pas nécessaire, ni que l’on soit persuadé des faits qu’on rapporte, ni qu’ils existent réellement, ni même qu’ils soient possibles : il suffit que l’on ne forge pas de sa tête ce que l’on avance. Or, sans aucun doute, saint Grégoire de Nazianze est dans le cas. Il n’assure point, sans l’avoir lu, ce qu’il rapporte du centaure Chiron et d’Achille. Il ne le croit pas, je l’avoue ; mais il ne l’invente pas aussi, et cela suffit pour le rendre digne de foi. On ne doit demander là-dessus ni la vérité morale, ni la vérité physique, mais seulement la vérité de relation. M. de Girac, qui veut que la moelle des cerfs ait été la seule nourriture du héros d’Homère, suivant l’opinion commune des anciens, a trouvé sans

  1. Liban. Progymn. pag. 70, D ; pag. 97, C ; pag. 129, A ; etc.
  2. In Præexere. Rhetor.
  3. Orat. XX, pag. 324.
  4. In Iliad. lib. XVI.
  5. In Ὰχιλ.
  6. Apollodor. Biblioth. lib. III.
  7. Statii Achilleid. lib. II, vs. 382.
  8. Philostat. in Heroïc. pag. 705, B ; et in Icon. II, pag. 781, C.
  9. Tertullian. de Pallio.
  10. Eustath. in Iliad. lib. I, pag. 11, vs. 28,
  11. Suidas, verbo χιλὴ.
  12. Réplique à Costar, sect. VII, pag. 59, Édition de Hollande, in-8.