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ACHILLE.

de Scyros, dès qu’elle eut su les préparatifs que l’on faisait contre les Troyens. La raison de sa conduite, la voici : elle savait, d’un côté, que si son fils allait à Troie, il n’en reviendrait jamais ; et de l’autre, que Calchas avait prédit qu’on ne prendrait jamais la ville de Troie sans Achille. La ruse de Thétis ne lui servit de rien : le devin Calchas découvrit aux Grecs où était Achille[a], qu’ils avaient cherché en divers endroits sans le trouver ; et là-dessus Ulysse ayant été député à la cour de Lycomèdes y démêla aisément Achille (D), et l’en retira sans peine, quoiqu’il fût tellement aimé de la princesse Déidamie, fille du roi, qu’elle lui avait permis de l’engrosser (E) Voilà d’où sortit Néoptolémus ou Pyrrhus, comme nous le dirons en son lieu. Achille fit une infinité de beaux combats pendant le long siége de Troie, et avant que l’on eût campé devant la ville. La grosse querelle qui s’éleva entre Agamemnon et lui pour leurs garces (car Agamemnon ayant rendu Chryseïs, qui était la sienne, enleva Briseïs, qui était celle d’Achille) [b], obligea celui-ci à se tenir dans sa tente, sans se vouloir plus mêler de guerre, et rien ne fut capable de le faire changer de résolution, que la mort de son cher ami Patrocle, auquel il avait prêté ses armes, dont Hector l’avait dépouillé aussi-bien que de la vie [c]. Vulcain, à la prière de Thétis, fit alors de nouvelles armes à Achille[d] (F). La mort de Patrocle fut vengée bientôt après (G) ; Achille se battit avec Hector [e], et, l’ayant tué, l’attacha à son chariot, et le traîna autour des murailles de Troie (H). Priam en personne lui alla demander le cadavre, et l’obtint moyennant une grosse rançon [f]. Il y a plusieurs opinions sur la mort d’Achille : les uns disent qu’Apollon le tua[g], ou qu’il aida Pâris à le tuer[h], en dirigeant sa flèche sur la partie qui n’était point invulnérable ; les autres disent que Pâris le tua en trahison dans un temple où Achille s’était rendu pour y traiter de son mariage avec Philoxène, fille de Priam[i]. Les Grecs lui firent de magnifiques funérailles, dont le dictionnaire de Moréri a touché quelques circonstances avec très-peu d’exactitude (I), pour ne rien dire de pis. Ils l’enterrèrent au promontoire de Sigée (K) ; et, après la prise de la ville, ils immolèrent Philoxène sur son tombeau, comme son ombre le demanda. Ce guerrier, le plus violent de tous les guerriers, et si brave que son nom devint celui de la suprême bravoure (L), aimait beaucoup la musique (M) et la poésie[j], et passait pour le plus bel homme de son temps (N). Si sa beauté le rendit aimable aux femmes, il ne les aimait pas moins de son côté (O), et l’on a dit même que ses amours s’é-

  1. Statius, Achilleïd. lib. I, vs. 493, seqq.
  2. Homer. Iliad., lib. I, vs. 323, seqq.
  3. Ibidem, lib. XVI, vs. 818.
  4. Ibidem, lib. XVIII, vs. 462, seqq.
  5. Homer. Iliad. lib. XXII, vs. 312.
  6. Ibid. lib. XXIV, vs. 555.
  7. Quintus Calab. lib. III, vs. 62 Euripide in Philoctete.
  8. Virgil. Æneid. lib. VI, vs. 57. Ovidius, Metam. lib. XII, vs. 580, seq.
  9. Dictys Cret. lib. IV ; Dares Phrygius, Hygnus, cap. CX ; Servius in Æneid. lib. VI, vs. 57.
  10. Voyez la remarque (B) de l’article Achilléa.