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ALTING.

Cet homme nourrit en secret Alting dans le galetas, et lui fournit même le moyen d’aller voir ce qui se passait chez lui. Il lui donna pour escorte trois soldats de l’armée bavaroise. Alting trouva sa maison dans un grand désordre, et son cabinet au pouvoir d’un capitaine, qui lui dit, ou par moquerie, ou par courtoisie, qu’il lui permettait d’emporter tel livre que bon lui semblerait. On ne voulut point accepter son offre, et l’on se contenta de lui répondre, que, si ces choses lui appartenaient, on souhaitait que Dieu lui en accordât une plus longue possession qu’à leur premier maître. Alting essuya mille périls en s’en retournant ; et, au bout de trois jours, Tilli lui permit de se retirer. J’ai lu quelque part que si Alting n’avait pas craint d’exposer son propre bien, et de passer pour plagiaire, il aurait pu sauver plusieurs livres de la bibliothéque électorale, et qu’il en avait transporté plusieurs au collége de la Sapience ; mais j’avoue que je n’entends rien à tout cela : j’y trouve de la contradiction. Si, de peur de passer pour plagiaire, il ne transporta point dans son cabinet aucun livre de la bibliothéque électorale, pourquoi dites-vous qu’il en avait retiré plusieurs au collége de la Sapience, et qu’il aurait pu en sauver plusieurs ? Outre que, selon l’auteur de sa Vie, il n’eut permission que d’emporter un volume. Lisez pourtant ce qui suit : Hunc (Quintilianum) et alios illius bibliothecæ libros suâ manu in collegio Sapientiæ exceperat Henricus Altingius, atque ex communi illo incendio bavarico eripuisset, nisi suis reculis timuisset, et ne plagiarius haberetur, si antiquus liber in ejus supellectile reperiretur, veritus fuisset[1].

(E) Les ministres luthériens exerçaient contre lui le dogme de l’intolérance. ] À la prière de l’électrice, il obtint du duc de Wirtemberg la permission de séjourner à Schorndorf. Il s’y arrêta jusqu’au mois de février qui suivit la désolation du Palatinat. Les ministres luthériens murmuraient de ce séjour, et de la permission que le duc lui avait donnée : le fondement de leur chagrin était qu’Alting était un professeur d’Heidelberg. Ibi ad februarium usque hæsit, facultate hâc per serenissimam Electricem impetratâ à duce Wirtembergico, cujus aliàs ministri lutherani quasi Ponti Axeni accolæ, aut aves Diomedæ, quæ solos socios gratenter excipiunt, id ferebant ægerrimè, non aliâ de causâ quàm quòd Altingius professor esset Heidelbergensis[2]. Je crois en effet qu’ils eussent mieux observé les droits d’hospitalité envers un marchand du Palatinat, ou même envers un professeur calviniste d’un pays tres-éloigné, qu’envers un professeur d’Heidelberg. Le Palatinat était voisin du Wirtemberg : les professeurs de Tubingue, et ceux d’Heidelberg, se choquaient de temps en temps par des thèses, et par des écrits polémiques. Voilà une source de haine théologique et professorale. Mais, après tout, il n’est pas possible d’excuser l’intolérance qu’on eut pour Alting. Il était échappé du milieu des flammes papales : l’injure que l’ennemi commun lui avait faite lui devait servir d’une puissante recommandation ; sa foi ne différait de celle de Wirtemberg qu’en des choses non essentielles. Si l’on avait à se haïr et à se persécuter pour la religion, on devrait attendre que l’on fût, comme les peuples d’Égypte, les uns au service d’un dieu, et les autres au service d’un tout autre dieu :

Inter finitimos vetus atque antiqua simultas,
Immortale odium, et nunquàm sanabile vulnus
Ardet adhuc Ombos, et Tentyra, summus utrinque
Indè furor vulgo, quòd numina vicinorum
Odit uterque locus, quùm solos credat habendos
Esse deos, quos ipse colit[3].


Aussi voit-on que les promoteurs des guerres ecclésiastiques supposent toujours que les différens sont d’une extrême conséquence. C’est une gangrène, disent-ils ; c’est la sape des fondemens de la religion.

(F) Les livres qu’il a composés. ] Voici ceux qui ont été donnés au public[* 1] : Notæ in decadem problematum Johannis Behm de glorioso Dei et beatorum cœlo, Heidelbergæ, 1618. Loci

  1. * Cette liste est très-incomplète, dit M. Stap-
  1. Lomeier, de Biblioth., pag. 278. Je ne sais si plagiaire se dit d’un homme qui dérobe, non les pensées d’un auteur, mais un livre ou un volume en espèce, sans le publier sous son nom.
  2. Vita Altingii.
  3. Juvenal. Sat. XV, vs. 33.