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AMYOT.

son opinion ha esté suivie de beaucoup d’aultres[1]. Roulliard apporte une excuse pitoyable : C’est un ramas, dit-il, de divers autheurs, et de style différent. Ajoutons son jugement sur la prose d’Amyot. Tant y ha, dit-il, que, selon mon advis, il estoit plus heureux en la traduction qu’en sa composition, soit françoise ou latine ; car ce que j’en ay veu me semble estrangement pesant et traisnassier.

(K) Ses traductions ont été son plus bel endroit. ] La première de toutes a été celle des Amours de Théagène et de Chariclée ; mais celle de Plutarque lui a procuré sa principale réputation. Il a traduit aussi les Pastorales de Longus [2], plusieurs Livres de Diodore de Sicile[* 1], et quelques Tragédies grecques. La duchesse de Savoie, ne trouvant point dans Plutarque la Vie d’Épaminondas, ni celle de Scipion, le pria de les composer. Il le fit ; mais elles n’ont pas été publiées. La préface était déjà toute prête : Pierre Mathieu l’a vue[3] ; il faut donc croire qu’Amyot avait mis la dernière main à cet ouvrage. Il n’osa, dit-on[4], entreprendre la traduction de Philostrate, quoique le Roi Henri III la lui eût souvent demandée : il s’en excusa sur l’impossibilité ; et quand ce prince, ayant vu la version de Vigénère, dit à Amyot : Hé bien, vous disiez que Philostrate estoit hors de traduction ? Amyot lui répondit qu’il l’avait cru jusqu’à cette heure.

(L) Tous Les critiques ne lui sont pas favorables. ] M. Baillet a très-heureusement recueilli les éloges que l’on a donnés au Plutarque d’Amyot[5]. Ils sont beaux et glorieux. J’y ajoute ce que j’entendis dire à M. Conrart, en l’année 1675, lorsque quelqu’un lui eut appris que presque tous les exemplaires du Plutarque de M. l’abbé Tallemant avaient péri dans l’incendie du magasin d’un libraire. On s’en consolera aisément, dit-il, pendant qu’on aura la traduction d’Amyot. On y trouve les plus beaux tours de notre langue, et la plus heureuse économie de nos périodes. M. Baillet n’a pas recueilli avec moins de soin les jugemens désavantageux : il n’a pas oublié que M. de Thou loue beaucoup plus l’élégance que la fidélité de ce traducteur : Diodoro ac præcipué Plutarcho licet majore plerumquè elegantiâ quam fide gallicé redditis[6]. Il a oublié un autre passage de M. de Thou, que M. de Girac rapporte. M. de Girac sera le seul dont j’allèguerai les paroles, comme une espèce de supplément au beau recueil de M. Baillet. « Pour ce qui est d’Epitimius, » dit-il[7], « qui est tué dans Amyot, au lieu que dans le texte grec ce n’est que son cheval, j’aime mieux croire que ce fameux interprète s’est servi d’exemplaires différens de ceux que nous avons, que de dire, avec M. de Thou, que ses versions sont bien plus polies que fidèles, et qu’il ne recherchoit pas tant la vérité, qu’il affectoit de plaire aux oreilles délicates[* 2]. Je sais qu’un savant et sage jurisconsulte [* 3] l’accuse de n’avoir pas seu comprendre une belle antiquité touchant une loi de Solon ; car au lieu d’écrire que ce législateur s’étoit vanté quelque part dans ses poésies qu’il avoit délivré les Athéniens de toutes les dettes qu’ils avoient contractées, et osté les brandons ou pannonceaux qui étoient posez en beaucoup de lieux sur les terres hypothéquées, il avoit traduit, d’avoir osté les bornes qui paravant faisoient les séparations des héritages de tout le territoire attique. Je pourrois ajouter plusieurs remarques sur quantité d’en-

  1. * Ce sont, dit Leclerc, les livres XI à XVII, imprimés en 1554, in-folio, à Paris, chez Vascosan.
  2. (*) Amiotus hic Pœmenica Longi, Heliodori Æthiopica, Diodori Siculi Historica, ac postremò Plutarchum in linguam nostram gallicam de Græcis verterat, sed hunc majore elegantiâ quàm fide, dùm auribus nostris placere, quàm de sensùs veritate laborare, potiùs existimat. Thuau., de Vitâ suâ, lib. V.
  3. (*) L’Oiseau, de l’Action hypothéq., liv. III, Ὅτι τῆς τε προΰποκειμένης γῆς ορους ἀνειλε πολλαχῆ πεκηγότας.
  1. Là même.
  2. C’est ainsi qu’il fallait traduire le Longi Pœmenica de M. de Thou, et non pas, comme du Ryer, par les Pœmeniques de Longus.
  3. Bullart le rapporte dans son Académie des Scienc., pag. 168.
  4. Du Verdier Vau-Privas, Prosopogr., tom. III, pag. 2572.
  5. Baillet, Jugem. des Savans, tom. IV, pag. 521. Voyez aussi Pope Blount, Censur. celebr. Autor., pag. 521.
  6. Thuan. Hist., lib. C, pag. 405.
  7. Girac, Réplique à Costar, section LI, pag. 438, édition de Hollande.