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AMYOT.

droits, où le bon Amyot a pris le change ; mais je ne saurois approuver M. de Meziriac, lequel[* 1], dans un discours qu’il a fait de la traduction, après avoir loué l’esprit, le travail, et le style de cet éloquent traducteur en sa version de Plutarque, prétend montrer qu’en divers passages, qu’il a remarquez jusques au nombre de deux mille, il a fait des fautes très-grossières. »

(M) Or veut qu’il ait été plagiaire. ] On a vu[1] ce que dit Brantome sur ce sujet. Voyons maintenant ce que d’autres en ont dit. J’ai ouï dire, c’est M. Colomiés qui parle[2], à M. Patin, qu’il avoit appris du bon homme Laurens Bochel (qui a fait imprimer les Décrets de l’Église Gallicane, etc.), qu’Amyot avoit traduit des Vies de Plutarque sur une vieille version italienne de la bibliothéque du roi, et qu’elle étoit cause des fautes qu’il avoit faites. Je ne sai si cette version n’est point celle que fit sur le latin, l’an 1482, Baptiste Alexandre Jaconel de Riete, qui est dans la méme bibliothéque[* 2]. La Popelinière accuse Amyot de n’avoir pas rendu à Turnebe l’honneur qui lui était dû, puisqu’il n’a point publié les secours qu’il avait tirés de lui pour l’intelligence des passages difficiles[3]. Il prétend que Turnebe lui envoyait les passages tout entiers tournez en François sur lesquels Amyot était en peine, et que plusieurs autres gens doctes l’aidèrent de leurs bons avis[4].

(N) Quelques-uns l’ont accusé d’avarice. ] J’ai cité dans la remarque (A) un long passage de Brantome, où Charles IX fait la guerre de ce défaut à son précepteur. Un autre livre m’apprend qu’un jour qu’Amyot demandait un bénéfice de grand revenu, ce prince lui dit : Eh quoi, mon maistre, vous disiez que si vous aviez mille écus de rente, vous seriez content : je crois que vous les avez et plus. Sire, répondit-il, l’appétit vient en mangeant ; et toutefois obtint ce qu’il désiroit[5]. On prendra si l’on veut pour une preuve équivoque de son avarice les deux cent mille écus de bien qu’il amassa[6].

(O) Les choses que M. de Varillas rapporte touchant Amyot sont pleines de faussetés. ] Il dit que la cour de François Ier. s’étant arrêtée durant quelques heures dans le château d’un gentilhomme de Berry, Amyot, qui était précepteur chez ce gentilhomme, en prit occasion de présenter à sa majesté une épigramme de quatre vers grecs, qu’il venait de composer. Les savans, qui suivaient sa majesté, trouvèrent l’épigramme si belle, que l’on ne jugea pas à propos de laisser plus longtemps son auteur dans une province trop éloignée de Paris. Le roi l’attacha à son service par une pension considérable[7]. Tout ceci est plein de transpositions de circonstances ; car nous avons vu[8] que l’on attribue à Michel de l’Hôpital le bon effet que produisirent quelques vers grecs d’Amyot présentés à Henri II. M. Varillas raconte dans un autre livre[9], qu’Amyot, professeur en grec à Bourges, se fit connaître à la cour par sa politesse à écrire en français, et qu’alors Bouchetel et Morvillier, secrétaire d’état, le rappelèrent à Paris ; et après l’avoir ramené à la communion de l’église catholique, le recommandèrent au cardinal de Tournon, qui lui fit donner l’abbaye de Bellosane, et la commission de secrétaire d’ambassadeur à Venise, d’où il partit pour aller à Trente exécuter les ordres du roi, l’an 1551. Voilà comment cet historien réfute dans un ouvrage ce qu’il avait dit dans un autre. Il ajoute qu’Amyot fit un discours

  1. (*) M. Pélisson, dans l’Histoire de l’Académie, pag. 232.
  2. * Voici comment, dans l’édition de la Bibliothéque choisie de Colomiés, 1731, La Monnoie parle de cette circonstance : « Il est vrai, dit-il, que cette traduction italienne a été réimprimée plusieurs fois in-4° et in-8° ; mais comme elle n’a été faite que sur de très-mauvaises versions latines que ce traducteur a rendues encore pires, il ne faut pas s’imaginer qu’Amyot, qui, nonobstant les fautes qu’on lui reproche, ne laissait pas d’être un fort habile homme, fût capable de s’attacher à une si misérable copie. »
  1. Ci-dessus, Remarque (A).
  2. Colomiés, Opuscules, pag. 124, édit. d’Utrecht.
  3. La Popelin., Idée de l’Histoire accomplie, liv. III, pag. 259.
  4. La Popelinière, Histoire des Histoires ; pag. 259.
  5. Prosopographie de Du Verdier, tom. III, pag. 2573.
  6. Voyez la remarque (A), à la fin.
  7. Varillas, Hist. de l’Hérésie, liv. X, pag. 310, édition de Hollande.
  8. Dans la remarque (C).
  9. Varillas, Histoire de Henri II, liv. II, pag. 204.