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ABÉLIENS.

blable ne se trouve dans la longue déduction qu’Abélard nous a laissée des raisonnemens d’Héloïse contre leur mariage. Voyez l’article d’Héloïse[1]. 7o. Il ne dit point qu’il l’ait épousée pour le repos de sa conscience : pourquoi M. Moréri veut-il mieux savoir les motifs de ce mariage qu’Abélard même ne les a sus ? 8o. Il ne fallait pas joindre ensemble les noces et le couvent d’Argenteuil ; il y eut un milieu entre ces deux choses. Héloïse ne fut envoyée dans ce couvent que parce que son oncle la maltraitait, fâché de ce qu’elle niait fortement son mariage. 9o. C’est donc une étrange fausseté que de dire que ce mariage ne fut pas si secret que Fulbert n’en fût averti ; car ce fut en sa présence qu’on bénit les noces dans une église. Post paucos dies nocte secretis orationum vigiliis in quâdam ecclesiâ celebratis, ibidem summo mane, avunculo ejus atque quibusdam nostris vel ipsius amicis assistentibus, nuptiali benedictione confœderamur[2]. 10o. Il n’est pas vrai qu’Abélard ait fait leçon à un grand nombre d’écoliers en Champagne, depuis que la mauvaise vie des moines de Ruis l’eut contraint d’y retourner, et dans le temps que l’abbé Suger fit sortir les religieuses d’Argenteuil. Le père Lenfant a copié quelques-unes de ces fautes[3].

  1. À la remarque (X).
  2. Abælardi Oper., pag. 16.
  3. Lenfant, religieux dominicain, Hist. générale de tous les siècles, au 21 avril. C’est un ouvrage en 6 vol. in-12, divisé selon les jours de l’année, et imprimé à Paris l’an 1684.

ABÉLIENS ou Abéloniens, secte d’hérétiques qui s’était formée à la campagne, proche d’Hippone, et qui était déjà éteinte du temps de saint Augustin. Elle avait d’étranges principes, et peu propres à la faire durer (A). Elle ordonnait à chacun d’avoir sa chacune ; elle ne trouvait point bon et ne souffrait point que l’homme fut seul ; il fallait selon les statuts de l’ordre qu’il eût une aide semblable à lui ; mais il ne lui était pas permis de s’appuyer sur cette aide ; je veux dire de s’unir corporellement avec sa femme : c’était pour lui l’arbre de science de bien et de mal, dont le fruit lui était sévèrement défendu. Ces gens-là réglaient le mariage sur le pied du paradis terrestre, où il n’y eut entre Adam et Ève que l’union du cœur : ou plutôt ils se réglaient sur l’exemple d’Abel ; car ils prétendaient qu’Abel avait été marié, mais qu’il était pourtant mort sans avoir jamais connu de femme. C’était de lui que leur secte avait pris son nom[a]. Quand un homme et une femme étaient entrés dans cette sorte de société, ils adoptaient deux enfans, un garçon et une fille, qui succédaient à leurs biens, et qui se mariaient sous les mêmes conditions de ne faire point d’enfans, mais d’en adopter deux qui différassent en sexe. Ils ne manquaient pas de trouver de pauvres gens dans le voisinage qui leur fournissaient des enfans à adopter. Voilà ce que saint Augustin nous en apprend[b] et comme il est presque le seul qui en parle, il faut croire que cette secte ne fut connue qu’en peu de lieux et qu’elle ne dura pas long-temps. On croit qu’elle commença sous l’empire d’Arcadius, et qu’elle finit sous celui de Théodose-le-Jeune. Tous ceux qui la composaient, réduits enfin à un seul village, se réunirent à l’église catholique.

  1. Voyez Bochart, Geogr. sacr., lib. II, cap. XVI, qui croit que la fable de la continence d’Adam pendant 130 ans après la mort d’Abel a donné lieu au nom de ces hérétiques.
  2. August., de Hær., cap. LXXXVII. Vide ibi Lambert. Danæum.

(A) Peu propres à la faire durer. ]