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ABRABANEL.

sieurs vers à la gloire de son père. On dit que Samuel embrassa le christianisme à Ferrare, et qu’il reçut le nom d’Alphonse, qui était celui du duc. Abrabanel a fait plusieurs autres livres (K) dont on ne saurait marquer la date, et dont quelques-uns n’ont pas encore été imprimés. Plusieurs nobles Vénitiens et les principaux des Juifs célébrèrent ses funérailles avec assez de pompe. Son corps fut enterré à Padoue dans un cimetière qui était hors de la ville. On enterra peu après au même lieu le rabbin Juda Menz, qui avait été recteur de l’académie. Le siége de l’an 1509 ruina de telle sorte les environs de la place, qu’on ne saurait plus discerner ce cimetière. Abrabanel avait de grands dons : il va de pair avec le fameux Maimonides, et il y a même des gens qui le mettent au-dessus de lui. Les Juifs prétendent qu’il a ruiné de fond en comble toutes les raisons et toutes les objections des chrétiens. Ceux-ci, méprisant avec raison tout ce qu’il a dit concertant nos controverses judaïques, font beaucoup de cas de ses autres interprétations. Ils le trouvent subtil, clair, savant, sincère. Il ne canonise point les opinions de ses maîtres, et il censure assez librement le plagiat et les autres fautes dont il les trouve coupables. Son grand défaut est d’avoir été trop sensible aux persécutions que les Juifs avaient souffertes, et auxquelles il avait eu sa bonne part. Le souvenir de cette infortune l’animait d’une telle fureur contre les chrétiens, qu’il les traite avec le dernier emportement. Il n’a presque point fait de livre où il n’ait marqué les traits de son désir de vengeance et de son indignation, et il ramenait à force de bras et de machines toutes sortes de matières à l’état misérable où sa nation était réduite. Il espérait de ranimer par ce moyen la synagogue mourante[a] ; et je crois aussi qu’il trouvait là un soulagement à l’oppression de sa bile, qui l’aurait étouffé peut-être, s’il ne s’en était déchargé sur le papier. Il ne serait pas le seul qui se serait bien trouvé de ce remède. On connaît des gens qui en ont eu grand besoin, quoiqu’ils n’ignorassent pas comme lui les préceptes de l’Évangile. Je ne trouve point son professorat de Padoue (L), ni son voyage d’Orient (M). Ce sont des faits où M. Moréri s’est lourdement abusé. Je n’en dis guère moins du voyage d’Allemagne (N).

Abrabanel était un homme infatigable dans le travail de l’étude : il y passait des nuits entières, et il pouvait jeûner fort long-temps. Il écrivait avec une grande facilité : la haine implacable qu’il témoignait contre les chrétiens en écrivant (O) ne l’empêchait pas de vivre avec eux d’une manière civile, enjouée, douce et flatteuse[b].

  1. Ex Actis Eruditorum Lipsiens, mens. novemb. 1686. pag. 528 et seqq.
  2. Bartolocci, Biblioth. Rabb., tom. II, pag. 875.

(A) Naquit à Lisbonne. ] Ses ancêtres étaient de Castille. E majoribus Castellam Hispaniæ, ex parentibus Olyssiponem Lusitaniæ agnovit patriam. C’est ainsi que parle le journal de Leipsick[1]. Don Nicolas Antonio

  1. Acta Lipsiens. mens. nov. 1686, pag. 529.