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ABUMUSLIMUS.

n’y a que des considérations humaines qui les détournent d’en faire une ouverte profession. On se flatte donc qu’à l’arrivée de l’heure fatale où le sort de l’éternité frappe plus fortement l’esprit[1], ces dissimulateurs rendent gloire à la vérité et jettent bas le masque.

Nam veræ voces tum demùm pectore ab imo
Ejiciuntur, et eripitur persona, manet res[2].


C’est de ce mauvais principe que sont venus tant de contes insérés dans le dictionnaire de Moréri, touchant Pierre du Moulin, Joseph Scaliger, etc. C’est encore la source que je ne sais combien de discours où l’on fait dire à certaines gens : La religion que je professe est meilleure que l’autre pour ce monde-ci, mais non pas à l’article de la mort. Voyez la remarque (DD) de l’article Mahomet.

(F) Le nom de Grégorius Bar Hebræus Syrus. ] À l’occasion de cela, je ferai cette petite remarque. Pocock rapporte deux passages où notre auteur est nommé Mar Gregorius, et un où il est nommé Mor Gregorius : il ne fait nullement réflexion sur le premier de vos deux mots ; il ne dit jamais qu’Abulpharage ait été appelé Marc. Je dis là-dessus qu’on aurait bien pu se tromper dans le supplément de Moréri, en disant que le nom de cet auteur était Marc Grégoire. On aura pris Mar, est un titre d’honneur, tel que celui de monsieur en notre langue, on l’aura pris, dis-je, pour Marc, nom de baptême. Je vois la même faute dans la Perpétuité de la foi défendue[3] : le patriarche de Babylone, qui se réunit à l’église romaine sous le pape Paul V, y est nommé Marc Elie. Mais l’auteur qu’on cite[4] l’avait nommé Marc Élias.

  1. Dii longæ noctis quorum jam numina nobis
    Mors in tans majora facit.
    Dido, apud Sibum Italicum. lib. VIII, vs. 140.

  2. Lucret., lib III, vs. 57.
  3. Livre V chap X.
  4. Petrus Strozza de Chaldæor. Dogmat. Vide Aub. Miræum, Polit. eccles., pag. 219.

ABUMUSLIMUS[a], général d’armée sous les premiers califes de la race d’Abbasi. La province de Chorasan se donna à cet Abbasi l’an 125 de l’Hégire[b]. Il l’accepta et mourut la même année. Ibrahim, son fils et son successeur, envoya dans ce pays Abumuslimus, qui n’avait que dix-neuf ans. Cette grande jeunesse ne l’empêcha pas de chasser Nasrus, qui commandait dans la province au nom du calife Merwan. Après la mort d’Ibrahim, arrivée l’an 131 de l’hégire, Saffahus son frère fut élevé à la dignité de calife. Il laissa le gouvernement de la province de Chorasan à Abumuslimus, et se servit de lui pour faire tuer son conseiller Abumuslimas, qui lui était devenu suspect. Il mourut l’an 136, et eut pour successeur Almansor son frère, qui, après avoir reçu d’Abumuslimus de très-importans services, le fit mourir traitreusement. Abdalla s’était soulevé dans la Syrie : Abumuslimus, envoyé contre lui à la tête d’une belle armée, le défit entièrement. Almansor, plus sensible à la calomnie qu’il prétendait qu’Abumuslimus avait dite contre lui qu’à l’importance de sa victoire, le manda afin de le faire tuer. Abumuslimus, plein d’une juste défiance, refusa d’aller trouver son maître ; mais s’étant laisser leurrer par les caresses qu’on lui fit faire, il se rendit auprès d’Almansor, qui le jeta dans le Tigre. Cela se fit en l’année 137 de l’hégire, qui répond à notre année 754. On conte qu’Abumuslimus avait été cause de la mort de six cent mille personnes. Il passait pour se connaître un peu en magie, et il était d’une secte dont celle du malheureux Spinoza n’est pas dans le

  1. M. d’Herbelot, qui en a fait un long article, le nomme Abou-Moslem.
  2. C’est notre année 742.