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ACCO.

de ce goût-là[1]. On n’est point sujet aujourd’hui à cette sorte de maladie, et l’on trouve beaucoup plus de gens qui se dégoûtent trop tôt d’un mot ordinaire, ou qui courent trop ardemment après les mots nouveaux-nés, qu’on n’en trouve qui veuillent retenir avec trop d’affection[2] les vieux termes. Si l’on emploie le vieux langage, c’est par forme de plaisanterie ; c’est par jeu d’esprit, c’est pour un ouvrage burlesque. Ce n’est qu’en latin qu’il se trouve encore des auteurs qui se plaisent à débiter les plus vieilles phrases. Il y avait sans doute parmi les anciens Romains une autre espèce de gens lorsque le latin fut venu à sa perfection. Ces gens-là étaient admirateurs perpétuels des vieux poëtes, sans se servir, ou sans vouloir que l’on se servît de leurs expressions surannées : ils voulaient seulement mortifier les écrivains de leur temps, en les mettant au-dessous des vieux auteurs. Horace avait bien compris leur intention :

Sic fautor veterum, ut tabulas peccare vetantes,
Quas bis quinque viri sanxerunt : fœdera regum
Vel Gabiis, vel cum rigidis æquata Sabinis,
Pontificum libros, annosa volumina vatum,
Dictitet Albano Musas in monte locutas.
.........................
Jam Saliare Numæ carmen qui laudat, et illud
Quod mecum ignorat, solus vult scire videri ;
Ingeniis non ille favet, plauditque sepultis,
Nostra. sed impugnat, nos nostraque lividus odit[3].


C’est encore une maladie dont notre siècle est exempt. On se contente de mettre la Grèce et l’ancienne Rome au-dessus de notre siècle ; mais on ne préfère pas les harangues et les poésies du XVe. et du XVIe. siècle à celles qu’on fait aujourd’hui.

  1. Apud Aul. Gell., lib. I, cap. X, quem vide etiam ibid. cap. VII.
  2. L’orateur Sisenna avait cette affectation. Cicer. in Bruto. Salluste en a été accusé. Sueton. in Aug, cap. LXXXVI, et in Vitâ Gramm., cap. XV ; et de l’affectation contraire, c’est-à-dire, de forcer des mots nouveaux. Aul. Gell. lib. I, cap. XV.
  3. Horat. Epist. I, lib. II, vs. 23…, et 86.

ACCO. Charles Étienne débite que c’était une vieille femme qui devint folle de chagrin en voyant dans un miroir de quelle manière la vieillesse l’avait enlaidie. Il cite le chapitre XVe du livre VIe. de Cœlius Rhodiginus ; mais on n’y trouve rien qui approche de cela[a]. Le continuateur de Moréri ajoute que cette femme se plaisait à parler avec son image devant un miroir, et que souvent elle faisait semblant de refuser ce qu’elle souhaitait fort Plutarque ajoute, poursuit-il, que c’est un mot dont les mères se servaient pour épouvanter les petits enfans et les retenir en leur devoir. Il cite le XVIe. livre de Cœlius Rhodiginus, et Cicéron II ad Atticum. Je ferai ci-dessous la critique de ce passage (A). En attendant, voici ce que dit Rhodiginus dans un lieu qu’on ne cite point[b]. Acco radotait de telle sorte, que, lorsqu’elle se regardait dans le miroir, elle s’entretenait avec son image comme si c’eût été une autre femme : on la voyait user de signes, de promesses, de menaces, de souris, et de tout ce qui a lieu dans une conversation. D’autres écrivent qu’elle tâchait quelquefois d’enfoncer un clou à coups d’éponge, comme si elle eût tenu un marteau. Rhodiginus n’en dit pas davantage. Pour ce qui est de Plutarque, il dit seulement que Chrysippe n’approuvait point que l’on nous fit peur de la justice de Dieu pour nous détourner du péché [c] ; car, disait-il, on ne manque pas de raisons qui combattent ce qui se dit sur les punitions divi-

  1. Lloyd ne change rien, si ce n’est qu’il cite Rhodiginus au livre XVI, chap. II.
  2. Le chap. II du XVIIe. livre. Il dit qu’il a lu cela dans l’Épitome des adages de Tarræus et de Didyme.
  3. Plut. de Stoïcorum repugnant. pag. 1040, B.