Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
AFER.

droit de Quintilien. Sufficiebant, dit-il [1], alioqui libri duo à Domitio Afro in hanc rem compositi, quem adolescentulus senem colui, ut non lecta mihi tantùm ea, sed pleraque ex ipso sint cognita. Il aurait fallu citer le chapitre XI du XIIe. livre de Quintilien. C’est là qu’on trouve la décadence de l’autorité de notre Domitius, et l’on y trouve comme la confirmation du précepte que l’auteur venait de donner touchant la retraite que les orateurs doivent faire quand l’âge ne leur permet plus de soutenir leur première gloire. Non quia prodesse unquàm satis sit, dit-il [2], et illâ mente, atque illâ facultate prædito non conveniat operis pulcherrimi quàm longissimum tempus ; sed qui docet hoc quoque prospicere, ne quid pejus quàm fecerit faciat. Neque enim scientiâ modo constat orator, quæ augetur annis, sed voce, laterum firmitate : quibus fractis aut imminutis ætate, seu valetudine, cavendum est, ne quid in oratore summo desideretur, ne intersistat fatigatus, ne quæ dicat parùm audiri sentiat, ne se queratur priorem. Vidi ego longè omnium, quos mihi cognoscere contigit, summum oratorem, Domitium Afrum valdè senem, quotidiè aliquid ex eâ, quam meruerat, autoritate perdentem, cùm agente illo, quem principem fuisse quondàm fori non erat dubium, alii (quod indignum videbatur) riderent, alii erubescerent ; quæ occasio illis fuit dicendi, malle cum deficere, quam desinere. Neque erant illa qualiacunque mala, sed minora. Quare, ut nunquàm in has ætatis veniat insidias, receptui canet, et in portum integrâ nave perveniet. Je ne marque point les grandes et capitales omissions de Moréri : on les peut assez connaître par la seule confrontation. Je marquerai seulement que sa citation de Suétone, et de Dion in Caligulà ne vaut rien : car outre que ce n’est pas la coutume de citer Dion autrement que par rapport à tel ou tel livre, et que ce n’est que son abréviateur Xiphilin qui est cité par rapport à tel ou tel empereur ; il n’est pas vrai que Suétone, ni dans la vie de Caligula, ni dans aucun livre qui nous reste de lui, parle de Domitius Afer. Ainsi, lorsque Scaliger avance dans ses notes sur la Chronique d’Eusèbe, que ce qui a été dit de cet orateur par saint Jérôme a été pris de Suétone, il faut nécessairement qu’il ait égard à des livres qui se sont perdus depuis la mort de ce père. M. Hofman nous donne deux Domitius Afer au lieu d’un, et tombe dans la mauvaise citation que l’on vient de censurer à M. Moréri.

(D) Le plaidoyer de ce prince. ] Caligula était si charmé de cette pièce, que lorsqu’un de ses affranchis qui avait fort contribué à l’apaiser, lui voulut faire des reproches touchant le procès intenté à Domitius, il lui répondit : Je ne devais pas supprimer un discours de cette importance. C’est autant que s’il avait dit : Quoi ! j’aurais travaillé inutilement à ce plaidoyer ? j’aurais mieux aimé renoncer aux louanges que ma rhétorique méritait, que d’exposer la vie de Domitius ? Il n’y a que trop de grands qui prendraient cela pour un grand désordre : ils croient que tout doit être sacrifié à leurs passions. Ceux qui ont dit que le cardinal de Lorraine aima mieux exposer le catholicisme à tous les dangers du colloque de Poissy que de se priver de la gloire d’y étaler son savoir et son éloquence[3], ne le connaissaient pas mal.

(E) Des circonstances curieuses. ] Domitius Afer adopta deux frères, qui furent nommés Domitius Tullus et Domitius Lucanus. Il fit ensuite confisquer les biens de leur père, et leur laissa les siens, malgré lui en quelque façon ; car il y a beaucoup d’apparence qu’une surprise de la mort l’empêcha de révoquer le testament qu’il avait fait à leur avantage. Domitius Lucanus, gendre de Curtius Mantia, se rendit odieux à son beau-père. Il eut une fille, en faveur de qui Mantia ne voulut faire son testament qu’à condition que Lucanus l’émanciperait ; mais quand elle eut été émancipée, Domitius Tullus l’adopta. Ce fut une collusion des deux frères. Ils vivaient en communauté de biens ; et ainsi, dès que la fille eut été remise sous la puissance paternelle par le moyen de l’adoption,

  1. Quintil. Instit., lib. V, cap. VII.
  2. Ibidem, lib. XII, cap. XI, initio.
  3. Voyez la remarque (D) de l’article de Charles de Lorraine.