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AGAR.

saient connaître leur honte ; on loua le défunt, et l’on jugea que sa conduite était bonne pour un siècle aussi corrompu que celui-là. Servons-nous encore du pinceau de Pline : Varii totâ civitate sermones : alii fictum, ingratum, immemorem, loquuntur, seque ipsos, dùm insectantur illum, turpissimis confessionibus produnt, qui de illo, uti de patre, avo, proavo, quasi orbi querantur : alii contrà hoc ipsum laudibus ferunt, quòd sit frustratus improbas spes hominum, quos sic decipere pro moribus temporum prudentia est[1].

  1. Plinii Epistola XVIII, lib. VIII.

AFRANIUS (Quinctianus), sénateur romain, perdu de réputation à cause de ses impudicités infâmes, entra dans la grande conspiration contre Néron, qui coûta la vie à Sénèque, l’an de Rome 818. Il avait une raison personnelle de vouloir du mal à ce prince, qui avait fait contre lui une cruelle satire en vers. Il nia long-temps qu’il fût de cette conspiration ; mais il le confessa enfin, trompé par l’espérance d’avoir sa grâce. Il témoigna en souffrant le dernier supplice plus de fermeté que l’on n’aurait dû s’en promettre de la vie qu’il avait menée[a].

  1. Tacit. Annal, lib. XV, cap. XLIX, LVI, LXX.

AGAR, servante et puis concubine du patriarche Abraham, était Égyptienne[a]. Il y a quelque apparence qu’il la prit à son service lorsqu’il revint d’Égypte, après avoir recouvré sa femme, que le roi Pharao avait enlevée. Mais c’est une fable que de dire, comme font les Juifs (A), qu’Agar était fille de ce roi. Chacun sait que Sara, se voyant stérile depuis long-temps (B), pria son mari d’essayer s’il pourrait avoir des enfans de cette servante, et qu’Abraham, vaincu par ces sollicitations, et faisant même, selon la version de quelques interprètes, un acte d’obéissance (C), s’approcha d’Agar avec tout le succès que sa femme s’en pouvait promettre ; sa femme, dis-je, car c’était pour son compte qu’elle souhaitait que sa servante fît des enfans ; et, n’en pouvant donner par elle-même à son mari, elle voulait du moins lui en donner par procureur[b]. Ceux qui trouveront peu conforme aux manières de notre siècle qu’il ait fallu employer de grandes prières auprès d’Abraham pour de telles choses, et surtout que ces prières soient venues de sa propre femme, doivent une bonne fois se bien mettre dans l’esprit que tous les temps et tous les peuples du monde ne sont point semblables. Quoi qu’il en soit, Agar se sentant grosse devint si fière, qu’on eût dit qu’elle venait de faire un très-grand exploit ; mais on rabattit bientôt son insolence. Sara, qui ne put souffrir de s’en voir traitée de haut en bas, la maltraita de telle sorte qu’elle la contraignit de déserter la maison (D). Agar n’y rentra qu’après s’être humiliée, suivant l’ordre que lui en donna un ange qui lui annonça qu’elle accoucherait d’un fils qui aurait des querelles avec tout le monde (E). Elle accoucha

  1. Genèse, chap. XVI, v. 1.
  2. Ecce conclusit me Dominus ne parerem, ingredere ad ancillam meam, si fortè saltem ex illâ suscipiam filios ; c’est-à-dire, selon la version de Genève : Voici l’Éternel m’a empeschée d’enfanter ; viens, je te prie, vers ma servante, peut-estre serai-je édifiée de par elle. Genèse, chap. XVI, v. 2.