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AGÉSILAÜS.

alléguez-leur la loi divine, ils l’expliquent à leur mode. C’est ce que fit Lysander quand il eut appris qu’un prophète de Lacédémone voulait faire valoir en faveur de Léotychide un oracle qui défendait aux Lacédémoniens de laisser régner un boiteux. Cela, dit Lysander, ne regarde pas les défauts du pied, mais les défauts du sang, et ce serait Léotychide qui ferait clocher votre royaume, lui qui n’est pas de la race de vos rois.

(B) Tout petit qu’il était, de mauvaise mine, et boiteux. ] Il était tout le premier à faire des railleries de sa mauvaise jambe[1], et c’est le parti que prennent en pareil cas toutes les personnes d’esprit. On fait avorter par-là tous les complots des moqueurs. Materia petulantibus et per contumeliam urbanis detrahitur, si ultrò illam et prior occupes. Nemo aliis risum præbuit, qui ex se cepit. Vatinium hominem natum ad risum, et al odium, scurram fuisse venustum ac dicacem, memoriæ proditum est. In pedes suos ipse plurima dicebat et in fauces concisas : sic inimicorum, quos plures habebat quàm morbos, et in primis Ciceronis urbanitatem effugit[2]. La gaieté d’Agésilaüs, et la force avec laquelle il soutenait les plus rudes exercices, réparaient tous ses défauts corporels[3] ; car, sans cela, son extérieur méprisable lui eût fait grand tort. Λέγεται δὲ μικρός τε γένεσθαι καὶ τῆν ὄψιν εὐκαταϕρόνητος. Dicitur autem fuisse pusillus et specie aspernandâ [4]. Les éphores avaient mis à l’amende le roi Archidamus son père, parce qu’il avait épousé une petite femme [5] ; d’où ils conclurent qu’il ne leur voulait donner que des roitelets. Cornélius Népos parle plus expressément que Plutarque de la mauvaise mine d’Agésilaus : Atque hic tantus vir, dit-il[6], ut naturam fautricem habuerat in tribuendis animi virtutibus sic maleficam nactus est in corpore, exiguus et claudus altero pede, quæ res etiam nonnullam afferebat deformitatem, atque ignoti faciem ejus cum intuerentur contemnebant. Jamais le minuit præsentia famam ne fut plus vrai qu’à son égard. Sa renommée l’avait précédé en Égypte, et l’y avait représenté sous les idées les plus pompeuses. Dès qu’on sut son débarquement, on courut en foule pour le voir : jugez de la surprise où l’on fut en voyant un petit bout d’homme, couché sur l’herbe, mal habillé, malpropre. On ne se put empêcher de rire, et de lui appliquer la fable d’une montagne qui enfante une souris[7]. Le mépris ne diminua point lorsqu’on eût vu ce qu’il choisit parmi les rafraîchissemens que le roi lui envoya[8]. Voyez ci-dessous la remarque (G).

(C) Il trompait ses ennemis lors même qu’il leur faisait savoir ses véritables intentions. ] C’est parce qu’ils ne croyaient pas qu’un capitaine si fin donnât à connaître son dessein. Vidit si quò esset iter facturus palàm pronunciasset, hostes non credituros aliasque regiones occupaturos, nec dubitaturos aliud esse facturum ac pronunciasset. Itaque cùm ille Sardis se iturum dixisset, Tissaphernes eamdem Cariam defendendam putavit[9]. On ne pourrait pas faire ici une juste application de cette pensée de M. de Wicquefort. George Douning, ambassadeur d’Angleterre, n’avoit pas assez de probité ni de prudence pour se persuader qu’il n’y a point de ministre qui trompe plus seurement ni plus agreablement que celui qui ne trompe jamais, parce qu’en battant le grand chemin, ceux qui cherchent les détours et les faux-fuyans ne le rencontrent point en leurs routes[10]. La comparaison entre un tel ministre et notre Agésilaüs clocherait beaucoup ; car ce roi de Lacédémone, en publiant ce qu’il voulait faire, ne trompa ses ennemis que parce qu’en d’autres rencontres il avait caché ses desseins. Un général qui s’est établi sur ce pied-là, ne saurait guère se servir d’un stratagème plus sûr que de faire courir un bruit sincère de ses marches. La ruse est alors très-bonne, parce qu’elle est d’un tour nouveau, et que les ennemis n’y ont pas été encore attrapés.

  1. Plut. in Agesilao, pag. 506, E.
  2. Seneca, de Constantiâ Sapientis, cap. XVII, pag. 692.
  3. Plut. in Agesilao, pag. 596.
  4. Idem, ibid.
  5. Idem, ibid.
  6. Corn. Nepos in Vitâ Agesil., cap. VIII.
  7. Plut. in Agesilao, pag. 616. Voyez l’article de Tachus.
  8. Corn. Nepos, in Vitâ Agesilai, cap. VIII.
  9. Idem, ibid., cap. III. Vide etiam Plut. in Ages., pag. 600, F.
  10. Wicquef. Mémoires des Ambassad., p. 170.