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AGIS.

lait Cléomene[a]. M. Moréri ne rapporte pas comme il faut ce que dit Agis (E) à ceux qui plaignaient sa destinée. Les autres dictionnaires sont très-fautifs sur cet article (F). Meursius ne devait pas dire que cet Agis régna neuf ans[b] ; car le passage de Diodore de Sicile, qu’il allègue, regarde un autre Agis. Celui dont il est ici question perdit la vie dans la 135e. olympiade. Les considérations de Plutarque sur le supplice de ce roi se verront dans l’article Ampharès.

  1. Tiré de Plutarque, in Vitâ Agidis et Cleomenis.
  2. Meurs. de Regno Lacedæm., p. 87.

(A) Par un désir de gloire assez raffiné. ] La narration de Plutarque[1] nous insinue clairement qu’Agésistrata fit voir à son fils le préjudice qu’il se ferait à lui-même par son plan de réformation, vu les grands biens qu’elle possédait ; mais il la pria de vouloir sacrifier ses richesses à la gloire de son fils. Car jamais, lui dit-il, je ne pourrai aller du pair avec les autres monarques sur le chapitre des richesses : les valets des satrapes, les valets des financiers de Séleucus et de Ptolémée sont plus riches que tous les rois de Lacédémone : mais si, par ma tempérance et par la grandeur de mon âme je m’élève au-dessus du luxe de ces princes, et si je puis introduire dans mon royaume l’égalité des biens, j’arriverai à la véritable grandeur, je passerai pour grand prince. C’est là un raffinement de l’amour-propre. On vous surpasserait, quelque progrès que vous fissiez par une certaine route ; prenez-en une toute contraire, où vous n’aurez pas de rivaux : ceux qui vous mettront en balance avec d’autres pourront soutenir qu’en son genre votre mérite ne cède point à celui d’autrui. Mais, l’oserait-on dire, si la dispute roulait sur des qualités de même espèce, les unes visiblement inférieures, et les autres visiblement supérieures, comme l’auraient été l’opulence d’Agis et celle des rois de Syrie ?

(B) De la part des femmes. ] Les Lacédémoniens étaient les meilleurs maris du monde : ils communiquaient à leurs femmes les affaires de la république, beaucoup plus qu’elles ne communiquaient à leurs maris les affaires du ménage[2]. Au temps dont nous parlons, presque toutes les richesses de Lacédémone étaient tombées en quenouille : elles se trouvaient à la disposition du sexe ; et c’est ce qui fit échouer le dessein du prince. Les dames craignirent de perdre tout à la fois leurs richesses, leurs plaisirs et leur crédit ; et peut-être ne se trompaient-elles pas. Mais laissons parler Plutarque. Or, faut-il notter, dit-il[3], que la plus-part de la richesse de Lacédémone estoit pour lors entre les mains des femmes, ce qui rendit l’entreprise plus difficile : car les femmes y résistèrent, non-seulement pource que par icelle elles venoient à perdre leurs délices, esquelles, pour n’avoir pas cognoissance du vray bien, elles constituoient leur félicité ; mais aussi parce quelles voyoient que l’honneur qu’on leur faisoit et la puissance et autorité qu’elles avoient à cause de leurs richesses, leur venoient à estre retranchées de tout poinct.

(C) Les signes célestes. ] Voici ce que c’est. Une fois tous les neuf ans les éphores contemplaient le ciel pendant une nuit sereine et sans lune ; et, s’ils voyaient tomber une étoile, ils jugeaient que les rois avaient péché contre Dieu, et ils les suspendaient de leur dignité jusqu’à ce qu’il vint un oracle ou de Delphes ou d’Olympe qui les réhabilitât[4]. Lysander, se vantant d’avoir vu ce phénomène, intenta un procès au roi, et produisit des témoins qui déclarèrent que Léonidas avait eu deux enfans d’une femme asiatique. Or, il y avait une ancienne loi qui défendait aux Héraclides [5] de faire des enfans à une femme étrangère. Quelle bizarrerie qu’un gouvernement comme celui-là, où la fortune des rois n’était attachée qu’au

  1. Plutarch. in Agide, pag. 798.
  2. Idem, ibid.
  3. Plut., là même. Je me sers de la version d’Amyot.
  4. Plutarch. in Agide, pag. 800.
  5. C’est-à-dire, aux descendans d’Hercule, du nombre desquels étaient les rois de Lacédémone.