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AGREDA.

modérez du royaume : tous deux se joignirent à monseigneur...., d’un génie fort médiocre et susceptible de prévention, donnant dans la cérémonie et dans la bagatelle : il faut que vous remarquiez que ces seigneurs se tiennent tous par la main. Ces triumvirs parlèrent donc à leurs créatures et gagnèrent M. Lefèvre, syndic de Sorbonne, » qui proposa à la faculté, le 20 mai, le livre de Marie d’Agreda. On nomma des députés pour l’examiner. Ils rapportèrent[1] soixante-huit propositions, qu’ils qualifièrent d’hérétiques, de téméraires, de scandaleuses, et qui offensoient les oreilles chastes. Elles furent imprimées avec les qualifications des députés, et distribuées à messieurs les docteurs [2] pour y dire leurs sentimens a la première assemblée[3]. Le père Méron, cordelier, dont nous avons de très-beaux ouvrages, tant de philosophie que de chronologie, supplia la faculté de vouloir ne pas se précipiter dans la condamnation d’un livre, dont le souverain pontife s’étoit réservé la connoissance, et avoit député des cardinaux qui l’examinoient à présent [4].... La cabale se déchaîna contre lui ; et il fut contraint de dire que, si l’on passoit outre, sans avoir égard à sa supplique, qu’il appeloit de tout ce qui se feroit contre ce livre au pontife. Il déclara néanmoins que, si cet appel blessoit en quelque manière les droits de l’église gallicane, il s’en désistoit [5]. Depuis ce jour-là, jusqu’au temps de l’assemblée, on mit en usage plusieurs brigues. Le jour de l’assemblée venu, messieurs du Saussoy et Gobillon condamnèrent le livre [6].... « mais M. le Caron montra qu’il n’y avoit rien qui méritât d’estre censuré, ce qu’il appuya de bonnes raisons. Chacun eut ses partisans, qui parurent dans vingt-neuf assemblées consécutives. Le syndic baptisa ceux du parti de M. le Caron, Agredins, nom qui leur reste. » L’affaire fut conclue le 17 septembre. On cria dans la salle de l’assemblée, d’une telle manière, qu’il sembloit qu’on fust dans une halle [7].... Le lendemain, messieurs du Flos et du Mas, cy-devant conseillers au parlement de Paris, protestèrent de nullité contre la censure et firent signifier leurs protestations au doyen et syndic de la faculté, qui subsiste, ne s’en estant pas désistez par aucun acte[8]. Depuis ce temps, le syndic et les députez se sont assemblez, et ont fait une autre censure...... qui fut lue le premier octobre ; mais auparavant la lecture, monsieur le syndic fit savoir à la faculté l’opposition qui lui avoit esté signifiée par ces deux messieurs. Il dit de plus, que monseigneur de Paris, les ayant fait venir dans l’archevesché, les avoit convaincus par de si bonnes raisons, que monsieur l’abbé du Mas s’y estoit laissé aller, et qu’il estoit sur que lorsque monsieur du Flos auroit ouy la lecture de la censure comme elle estoit, il y donneroit les mains. L’on lut donc l’ouvrage du syndic, et l’on fut surpris qu’il y avoit des propositions nouvelles et censurées, dont on n’avoit point entendu parler dans la faculté, qu’on en avoit retranché plusieurs condamnées, etc.[9]. Mes lecteurs jugeront ce qu’il leur plaira de ces extraits.

(D) Que la prévision de ce scandale obligea la compagnie à insérer dans son acte une déclaration. ] « Elle a fait, avant toutes choses, une protestation solennelle, qu’elle ne prétend rien diminuer par cette censure du légitime culte que l’Église catholique rend à la sainte Vierge : qu’elle l’honore comme mère de Dieu ; qu’elle a une confiance particulière en son intercession ; qu’elle se tient au sentiment de ses pères touchant la Conception immaculée, et qu’elle croit son Assomption au ciel en corps et en âme[10]. » L’auteur de la lettre dont on a vu des extraits dans la remarque précédente, dit que la censure, où l’on a établi pour dogme la Conception et l’Assomption de la Vierge, fut faite par le syndic et les députés, depuis

  1. Dans l’assemblée du 2 de juillet. Là même, pag. 28.
  2. Là même, pag. 29.
  3. Indiquée au 14 du mois de juillet.
  4. Là même, pag. 30.
  5. Affaire de Marie d’Agreda, pag. 31.
  6. Là même, pag. 35, 36.
  7. Là même, pag. 37.
  8. Là même, pag. 38.
  9. Là même, pag. 39.
  10. Journal des Savans, novembre 1696, p. 716, 717.