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AGRIPPA.

tinaria, au lieu de Gattinara ; Rauclin, au lieu de Reuchlin ; Carlinetus, au lieu de Catilinetus. 2o. On y voit qu’Agrippa obtint une chaire de professeur à Padoue : cela est faux ; il fallait dire Pavie. M. Teissier a été trompé aussi par la ressemblance des mots : il a mis Paris pour Pavie ; peut-être n’est-ce qu’une faute d’impression : en tout cas, le lecteur doit être averti qu’il ne doit pas croire ce qu’il trouve dans M. Teissier, savoir, qu’Agrippa a été professeur des lettres saintes à Dôle et à Paris[1]. Il est à craindre que quelque compilateur ne ramasse tout ce qu’il trouvera épars en plusieurs livres, et qu’il ne nous vienne débiter l’un de ces jours qu’Agrippa a professé les lettres saintes à Dôle, à Paris, à Pavie, à Turin, à Padoue, à Cologne, etc. Il est arrivé sans doute plus d’une fois, par une semblable cause, qu’on a multiplié faussement les charges d’un homme avec bien des réflexions à son avantage sur l’étendue de son mérite. 3o. Ces paroles jettent dans la confusion : Le cardinal de Sainte-Croix le voulut engager à le suivre au concile qu’on devait assembler à Pise ; et, dans le même temps, le roi d’Angleterre, Marguerite d’Austriche, et Gatinaria, chancelier du même Charles V, l’appelèrent à leur service. Les règles de notre grammaire veulent qu’on rapporte tout cela à un même temps : et, sur ce pied-là, Moréri aurait débité un grand mensonge ; car ce fut en 1529, long-temps après l’affaire de Pise, qu’Agrippa se vit recherché par Henri VIII, par Marguerite d’Autriche et par le chancelier de Charles-Quint. Mais d’ailleurs, si l’on veut bien chicaner, on niera qu’on ait appliqué à la même année les offres de tous les emplois. Un lecteur prévoit la possibilité de ces chicanes ; et ainsi, il ne sait à quoi s’en tenir. 4o. Il n’y a point de chicanerie à trouver en faveur de ce qui suit : Mais Agrippa, qui aimait extrêmement la liberté, préféra le plaisir de voyager, à ces avantages ; et, auprès avoir passé quelque temps à Fribourg, à Genève et ailleurs, il se retira à Lyon. Pitoyable anachronisme, compliqué d’autres faussetés ! Moréri prétend donc qu’aucun parti ne fut accepté : néanmoins celui de la princesse Marguerite le fut ; et lorsqu’on l’offrit, Agrippa ne songeait plus à voyager : il en avait passé son envie ; il avait été à Genève, à Fribourg et à Lyon. 5o. Il n’est pas vrai que Paul Jove, Del Rio, Thevet, et quelques autres, soutiennent qu’Agrippa avait deux démons sous la forme de deux petits chiens, et qu’il en nommait un Monsieur, et l’autre Mademoiselle. Paul Jove, Thevet, etc. parlent seulement d’un chien, sans dire quel nom il portait. 6o. Il ne fallait pas distinguer le livre de la Vanité des Sciences d’avec les autres œuvres d’Agrippa, qui composent deux volumes ; car ce livre est en tête du second volume. Je ne dis rien du désordre qui règne dans le narré de Moréri, par rapport à la chronologie.

(S) Il promettait un ouvrage contre les Dominicains. ] Comme ils étaient les principaux directeurs de l’inquisition, il ne faut pas s’étonner qu’il leur en voulût plus particulièrement qu’à d’autres. La patience lui échappait lorsqu’il les voyait si indulgens pour les erreurs de leurs confrères, et si durs envers les propositions équivoques des autres gens. Cette indulgence aurait été moins scandaleuse si elle ne se fût trouvée qu’en eux ; mais le mal est que les peuples sont si sots, que pendant qu’ils louent le zèle d’un inquisiteur qui trouve des hérésies partout où bon lui semble, ils ne souffrent pas que l’on use de récrimination contre lui, et qu’on étale aux yeux du public ses doctrines pernicieuses. Agrippa devait là-dessus parler de la belle manière aux Dominicains, et sur d’autres choses aussi. Neque tamen putetis, dit-il[2] aux magistrats de Cologne, hunc solum articulum apud illum reperiri hæreticum, sed alii multi, quos cùm hic nimis longum vobisque tædiosum foret referre, enumerabo alibi, in eo scilicet libro, quem de fratrum prædicatorum sceleribus et hæresibus inscripsi ubi infecta sæpiùs veneno sacramenta, ementita sæpissimè miracula, interemptos veneno reges et principes, proditas urbes et respublicas, seductos populos, assertasque hæreses, et cætera ejus-

  1. Teissier, Élog. tirés de M. de Thou, tom. II, pag. 99, édition d’Utrecht en 1696.
  2. Agr. Operum tom. II, pag. 1037.