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ALAMANDUS.

dans les plus grandes affaires sont capables de surmonter les obstacles les plus forts. Cela demande des gens laborieux et détachés des plaisirs des sens, et intrépides. Donnons en latin le témoignage de la fermeté de Louis Alamandus contre la crainte de la peste : Neque illum preces, neque domesticorum funera, flectere potuerunt, volentem potiùs cum vitæ periculo salvare concilium, quàm cum periculo concilii salvare vitam ; sciebat enim, quoniam se recedente pauci remansissent, facilèque committi fraus in ejus absentiâ potuisset[1].

(B) On le traita de fils de la géhenne.] Dans une bulle donnée à Florence, l’an 1442, on l’appelle iniquitatis filium, rebellionum facinorum multorum reum, et l’on y dit que les conciles de Ferrare et de Florence l’avaient condamné et dépouillé de toutes ses dignités : A Ferrariensi et Florentino conciliis dominatum et universis dignitatibus privatum fuisse[2].

(C) Cependant il ne laissa pas de mourir en odeur de sainteté. ] Cet exemple et celui de Pierre de Luxembourg, béatifié parla même bulle de Clément VII[3], sont un peu embarrassans pour les controversistes du parti romain ; car enfin, si, selon leur prétention, tout homme qui n’est point uni au pape, est hors de l’Église, comment se peut-il faire que non-seulement on se soit sauvé dans les deux obédiences, mais qu’on y ait aussi mérité le grade de saint ? La meilleure réponse qu’on puisse faire est de dire, que la distinction du vrai pape et du faux pape étant au-dessus des forces des particuliers, et une pure question de fait, l’erreur était invincible, et par conséquent ne devait point préjudicier à ceux qui étaient dans la bonne foi quant à la question de droit. Mais gare les répliques et les conséquences qui naissent de là en faveur d’autres erreurs !

(D) Les jansénistes qui ont critiqué Raynaldus..... se sont exposés eux-mêmes à la censure. ] Ils allèguent d’abord les injures dont ce continuateur de Baronius a chargé le cardinal d’Arles, et ils observent ensuite, qu’il a esté contraint d’avouer en deux divers endroits, l’an 1426, n. 26, et l’an 1450, n. 20, que Dieu a fait reconnoître la sainteté de ce cardinal par des miracles si visibles et si bien attestez, que Clément VII l’a mis au nombre des bienheureux....[4]. La manière dont cet autheur se tire de ce mauvais pas, continuent-ils, est tout-à-fait horrible, « et ne peut estre fondée que sur une maxime très-pernicieuse, qui est que des gens coupables de crimes publics puissent devenir Saints, et estre reconnus pour Saints par l’Église, sans qu’ils ayent donné aucun témoignage de se repentir de leurs crimes, et que toutes choses, au contraire, fassent voir qu’ils y ont persévéré. Car si le cardinal d’Arles a commis des crimes, et a deu estre estimé un très-meschant homme, en faisant tout ce qu’il a fait dans le concile de Basle, jamais homme n’a esté plus constant dans ses crimes ; puisque, lors même que les pères du concile de Basle, où il présidoit, se réunirent à Nicolas V, ce ne fut point en reconnoissant en aucune sorte qu’ils eussent mal fait, ny de résister à Eugène, ny de le déposer, ny d’élire Amédée ; mais ce fut au contraire, en protestant qu’ils n’avoient rien fait que pour le bien de l’Église, et qu’ils ne s’unissoient à Nicolas V, qu’en l’élisant de nouveau, après la cession volontaire de Félix : et l’union se fit sans qu’on les obligeast à rien désavouer de tout ce qu’ils avoient fait ; mais ce fut, au contraire, Nicolas V qui confirma ce qui avoit esté fait à Basle. De sorte que, si tout ce qu’a fait le cardinal d’Arles dans le concile avoit esté criminel, jamais homme n’auroit témoigné plus d’opiniastreté dans le crime. D’où il s’ensuit que, si cela n’a pas empesché qu’il ne devinst Saint, il faudroit dire que la persévérance dans les plus grands crimes n’empesche pas qu’on ne soit

  1. Id. ibid.
  2. Vide Launoium, Epist. XI partis I, num. 45, pag. 80.
  3. Voyez M. Claude, Défense de la Réformation, IIIe. partie, vers la fin.
  4. Remarques sur le XVIIIe. tome des Annales Ecclésiastiques, pag. 213. Ces Remarques sont imprimées avec un Recueil de diverses Pièces pour la défense des censures de la Faculté de Théologie de Paris, contre un bref et une bulle d’Alexandre VII. Je me sers de l’édition de Genève (on a mis au titre, à Munster, chez Bernard Raesfeld) en 1667, in-8°.