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ALBERT.

donné ordre à ce Covarruvias d’examiner tout ce travail d’Alamos ; et dès l’an 1603, Philippe III avait accordé la permission de l’imprimer. Alamos conte tout cela dans son avis au lecteur : ce qui, pour le dire en passant, renverse la conjecture de ceux qui se voudraient imaginer qu’il ne borda d’Aphorismes sa traduction, qu’afin d’enchérir sur celle de Sueiro[1]. Les Aphorismes étaient l’une des parties principales de son travail, dès le temps qu’il fut approuvé par Antoine Covarruvias.

  1. Amelot, là même.

ALBERT-le-GRAND[* 1], religieux dominicain, évêque de Ratisbonne, et l’un des plus célèbres docteurs du XIIIe. siècle, naquit à Lawingen, sur le Danube, dans la Suabe, l’an 1193 ou l’an 1205[* 2] (A). On pourra voir dans le Dictionnaire de Moréri les diverses charges qu’on lui conféra, et le succès avec lequel il enseigna dans plusieurs villes[a]. Je m’arrêterai principalement à quelques mensonges qu’on a fait courir sur ce sujet. On a dit qu’il exerça le métier de sage-femme ; et l’on a trouvé fort mauvais qu’un homme de sa profession se fût érigé en accoucheur[b]. Le fondement de ce conte est qu’il a copié un livre sous le nom d’Albert-le-Grand, où il y a plusieurs instructions pour les sages-femmes, et tant de connaissance de leur art, qu’il semble, qu’afin d’y être si habile, il a fallu l’exercer. Mais les apologistes d’Albert-le-Grand soutiennent qu’il n’est point l’auteur de ce livre (B), non plus que de celui de Secretis Mulierum (C), où il y a bien des choses qui n’ont pu être exprimées qu’en termes sales et vilains ; ce qui a bien fait crier contre celui qui a passé pour l’avoir écrit. Ses apologistes ne peuvent pas toujours recourir à la négation du fait : ils avouent que l’on trouve dans son Commentaire sur le Maître des Sentences quelques questions touchant la pratique du devoir conjugal (D), dans lesquelles il a fallu se servir des mots qui choquent le plus les chastes oreilles[c] ; mais ils allèguent ce qu’il observa lui-même pour sa justification, que l’on apprenait tant de choses monstrueuses au confessional, qu’il était impossible de ne pas toucher à ces questions. Il est certain qu’Albert-le-Grand a été le plus curieux de tous les hommes. Il a donné prise sur lui [* 3] par cet endroit à d’autres accusations. On a dit qu’il travaillait à la pierre philosophale (E), et même qu’il était un insigne magicien (F), et qu’il avait fabriqué une machine semblable à un homme, laquelle lui servait d’oracle, et lui expliquait toutes les difficultés qu’il lui proposait. Je croirais facilement que, comme il savait les mathématiques, il

  1. * Leduchat, et après lui Joly, qui ne le cite pas, remarquent que le nom de Grand, donné à Albert, ne lui vient pas de son savoir, mais qu’il est la traduction de son nom de famille Groot, qui en allemand signifie Grand. Mais M. Stapfer, dans la Biographie universelle, dit que c’est une supposition gratuite ; que jamais les comtes de Bollstædt, de la famille desquels était Albert, n’ont portée le nom de Grot ou Groot.
  2. * Leclerc doute qu’il faille dire 1193, et est certain qu’on ne peut dire 1205. Il serait pour 1200 environ.
  3. * Ces mots, donné prise sur lui, paraissent impropres à Joly, puisque les choses débitées contre Albert sont sans aucun fondement.
  1. Voyez aussi Bullart, Académie des Sciences, tom. II, pag. 145, et ci-dessous la remarque (H).
  2. Voyez Theophili Raynaudi Hoploth., sect. II, serm. III, cap. X, pag. 361.
  3. Idem, ibid.