Aller au contenu

Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique (1820) - Tome 1.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
396
ALCINOUS.

ces paroles de saint Grégoire de Nazianze :

. . . Ἠ δὲ τράπεζα καὶ ἄλσεος Ἀλκινόοιο
Τερπνοτέρη[1].
Tua Alcinoi mensa est jucundior horto.


Je n’ai point remarqué que les poëtes aient feint que ce prince fût le gardien des vergers, comme M. Moréri le débite. Charles Étienne l’a jeté dans cette erreur ; car on voit dans son Dictionnaire un Alcinoüs différent du roi des Phæaques, et caractérisé par la charge de Hortorum custos ; ce que l’auteur prouve par le IIe livre des Géorgiques de Virgile, et par des vers d’Ovide et de Stace, où il ne s’agit point de cela, mais uniquement des jardins d’Alcinoüs. Apparemment cette bévue doit sa première origine à la faute de quelque copiste ou de quelque imprimeur, qui aura mis custos au lieu de cultor.

(C) Il reçut avec beaucoup de civilité Ulysse. ] Plusieurs auteurs, comme Ravisius Textor[2], et Decimator[3], attribuent cette réception à Nausicaa, fille d’Alcinoüs, sans en faire aucune part au père. Ils ne considèrent pas qu’elle ne donna que des habits et des conseils à Ulysse hors de la ville, et qu’elle avait père et mère, qui firent tous les honneurs de l’accueil et de l’hospitalité. Voyez l’article Nausicaa.

(D) On croit que les contes d’Ulysse chez Alcinoüs firent naître quelques proverbes. ] Moréri dit qu’Ulysse compta (je copie son orthographe) la fable des Ciclopes, des Lestrigons et des autres, comme on dit, le coude sur table. Ce qui donna occasion à ce proverbe des anciens, qu’Érasme n’a pas oublié, « La Table d’Alcinoë, » ou, comme l’exprime Platon, « Est-ce que je vous dois raconter la fable d’Alcinoüs ?  » Tout cela ne vaut rien : 1°. ce des autres est une expression obscure et tout-à-fait négligée. En 2e. lieu, le proverbe de la fable d’Alcinoüs ne vint point de ces contes d’Ulysse, mais de la bonne chère qu’Alcinoüs faisait ordinairement. Voyez la remarque suivante. De plus, il n’est pas vrai que Platon s’exprime par une interrogation : il déclare simplement qu’il ne dira point l’apologue d’Alcinoüs[4]. Il est encore plus faux que ce qu’il dit soit en d’autres termes la même chose que la table d’Alcinoüs. Il est certain qu’on trouve dans l’Indice des Adages d’Érasme, Alcinoi Mensa, et Alcinoi Apologus, comme deux proverbes différens. Le premier n’est point en titre dans le corps du livre : il n’est rapporté que comme un petit accessoire de l’adage Sybaritica Mensa[5] et il est tiré de ces paroles de Grégoire de Nazianze : Οὐκ ὡς Λωτοϕάγου πενίαν ἀλλ᾽ ὡς Ἀλκινόου τράπεζαν, Non ad Lοtophagorum inopiam, sed Alcinoï mensam. Hadrien Junius, qui a fait un recueil de proverbes après Erasme, où il a mis Alcinoi Horti comme un proverbe capital, cite dans l’explication de celui-là cet autre passage du même père touchant la table d’Alcinoüs :

Καὶ δόμον αἰγλήεντα καὶ Ἀλκινόοιο τράτεζαν,
Non si marmoreum dederis lectum Alcinoïque


Lloyd cite un autre passage où ce saint docteur emploie la même phrase. Quant à l’Alcinoï Apologus, Érasme le rapporte deux fois. Premièrement, il l’explique d’un conte de vieille, de longis et anilibus fabulamentis ; et il se fonde sur les fables qu’Ulysse débita à la table d’Alcinoüs : Prodigiosas ac deridiculas fabulas et portentosa mendacia de Lolophagis, Læstrigonibus, Circe, Cyclopibus, atque id genus aliis plurimis miraculis, fretus videlicet Phæacum inscitiâ barbarieque[6]. Mais ailleurs [7], il nous apprend qu’il avait trouvé une autre signification de ce même adage dans le IVe. livre de la Rhétorique d’Aristote[8], et qu’il veut suspendre sa décision jusqu’à ce qu’il y voie plus clair, ou par les Commentaires de saint Grégoire de Nazianze sur ces livres d’Aristote[9],

  1. Gregor. Nazianz. Carm. ad Vitalian.
  2. In Epithet.
  3. In Sylvà Vocabul. et in Thesauro Linguarum.
  4. PIato, de Republ., lib. X.
  5. C’est le LXVe. de la IIe. centurie de la IIe. chiliade.
  6. Erasm. Adagior. centur. IV, chil. II, num. 32, pag. 469.
  7. Idem, centuria I, chiliade V, num. 82, pag. 1057.
  8. Il est dans le chap. XVI du livre III, dans l’édition de Genève, en 1605.
  9. Je n’ai jamais ouï parler de ces Commentaires.