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ALEANDRE.

[1], où il lui décharge son cœur. Il le regardait comme un ennemi si irrité, qu’il le prit pour l’un des principaux promoteurs des censures que la Sorbonne avait publiées contre ses livres, et pour l’auteur véritable de l’invective qui avait couru sous le nom de Jules-César Scaliger : Non tamen erant prodituræ censuræ, nisi quidam oleum camino addidissent. Lutetiæ fuit Eccius, et ut suspicor Aleander, quem suspicor hâc de causâ præcipuè venisse, ut Erasmo moliatur exutium. Julii Scaligeri Libellum tam scio ullius esse, quam scio me vivere. Id tamen dissimulandum est, ne magis insaniat prodito fuco[2]. J’ai montré ailleurs[3], qu’Érasme se trompe sur ce dernier fait : la harangue de Scaliger était l’ouvrage de celui dont elle portait le nom ; et dire qu’en 1531 Aléandre allait à Paris principalement pour machiner la ruine d’Érasme, est se croire trop important, et ignorer la nature des emplois que le pape donnait à ce nonce. Nous verrons ailleurs[4] si Érasme a eu raison d’attribuer à Aléandre un livre qui portait le nom de Dolet. Il veut parler de ce nonce dans la lettre XXIV du XXVe. livre. Il faut donc que la passion d’Aléandre ait été extrême ; car celui dont Érasme se plaint avait fait courir à la cour de Rome un écrit[5], où il disait au pape, qu’il s’étonnait que, tant de milliers de personnes ayant péri en Allemagne dans la guerre des Paysans, Érasme, l’auteur et le chef de ce furieux tumulte, vécût encore. On ne peut pas ignorer quel est l’auteur qu’Érasme désigne, puisqu’on trouve ces paroles dans une autre lettre : In me impudentissimis argumentis causam agit (Albertus Pius), et agit hostiliter, docere laborans, me fui se occasionem, causam, autorem et principem, totius hujus negotii. Quod idem agit Aleander in suo Racha, demirans me adhuc spirare, quùm in Germaniâ tot hominum millia sint trucidata[6]. En un autre endroit, il le désigne sous le nom de Verpus[7] ; ce qui témoigne qu’il n’était point désabusé de la médisance qui avait couru, que cet homme-là était né juif. Si Aléandre avait fait ce livre, il avait eu des liaisons très-étroites avec Érasme : même table, même chambre et même lit avec lui, et il en avait reçu de bons offices ; car voici ce qu’Érasme nous apprend : Cum altero fuit mihi olim non tectum modo ac mensa, verùm etiam cubiculum et lectus communis [8], adeòque à me nullâ læsus est injuriâ, ut quùm illi res essent angustiores commendatricibus litteris meis nonnihil etiam adjutus sit, nec usquàm ullius in scriptis meis nisi honorifica mentio [9]. On ne peut s’empêcher de reconnaître là Aléandre lorsqu’on se souvient d’une autre lettre[10], où l’on trouve ces paroles : Ut video, tibi propemodùm persuasit (Aleander) : at ego, qui è domestico convictu ac lectuli quoquè contubernio totum intùs et in cute novi, tam scio esse ovum illius [11], quàm scio me vivere. Finissons la relation désavantageuse par un passage qui concerne les mœurs d’Aléandre. Il vivait en épicurien à Venise, l’an 1533, si nous en croyons Érasme : Nunc Venetiæ planè vivit epicureum, non sine dignitate tamen [12]. Sans doute par cette dignité, il entend la double mitre, dont il avait fait mention dans la lettre LX : Aleander, geminâ mitrâ insignitus ; nam Brundusinus et Oretinus est, apud Cæsarem agit legatum Anglicum[13]. Ce dernier mot est équivoque, et peut-être Érasme n’avait point écrit Anglicum. mais Angelicum, afin de signifier l’emploi de nonce apostolique qu’Aléandre avait alors en Allemagne. En tout cas, on n’eût point mal fait d’avertir dans une note marginale, qu’il n’était point ambassadeur du roi d’Angleterre auprès de

  1. La LIIIe. du XVIIIe. livre.
  2. Erasmus, Epistola LVI libri XXX, pag. 1941.
  3. Dans la remarque (M) de l’article Érasme.
  4. Dans la même remarque.
  5. In quo docebat quid significet Hebræis Racha.
  6. Erasm. Epist. XCIX libri XX, pag. 1052 : elle est datée de Bâle, le 23 de décembre 1528.
  7. Dans la Lettre XLIV du XXXe. livre, p. 1931. Voyez aussi la LXXIVe. Lettre du même livre.
  8. Ce fut apparemment à Venise, lorsque Érasme travaillait chez Alde Manuce.
  9. Epist. XXIV libri XXV, pag. 1379.
  10. La LVIIIe. Lettre du XXXe. livre d’Érasme, pag. 1945.
  11. Il parle de la Harangue de Scaliger
  12. Epistol. LXII libri XXX, pag. 1949.
  13. Erasm. Epist. LX libri XXX.