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ALEGAMBE.

sais quoi qui revient extrêmement à l’esprit. Au reste, poursuit M. Baillet [1], comme la compagnie des jésuites a été jusqu’à présent la plus savante de toutes les sociétés régulières, c’est-à-dire, pour le moins la plus abondante en toutes sortes d’écrivains (hors sur la médecine)... on doit juger par-là de l’avantage qu’on peut tirer de cette riche Bibliothéque, qui est assez bien écrite, sans affectation de style particulier et sans ornemens trop recherchés…. disposée dans une très-belle méthode, et embellie d’un très-grand nombre de tables très-laborieuses et très-utiles. Voilà pour le bien ; passons au mal.

M. Baillet dit[2] que comme les corps les mieux faits ne sont pas toujours exempts de taches et de défauts, quand leur beauté ne consiste que dans la taille et dans la proportion des parties, on ne sera pas surpris d’apprendre que cette belle Bibliothéque a rencontré ses censeurs, comme les autres : que les uns ont cru y trouver un peu de cet amour de société, qui fait qu’on ne représente presque jamais les écrivains que par le bel endroit ; qu’ils ajoutent qu’en effet on n’aperçoit dans tout ce gros volume que des éloges, et que, parmi une si grande multitude d’auteurs et de livres, on ne voit pas que l’Alegambe et le Sotuel y en reconnaissent un seul qui soit mauvais, si ce n’est peut-être ceux qui ont été mis à l’inquisition ou à l’index ; que d’autres ont encore remarqué qu’il n’y a presque pas un écrivain dans toute cette Bibliothéque, qu’on ne nous dépeigne comme un saint. Il est vrai que les personnes raisonnables doivent être satisfaites de voir à la tête et à la fin du livre une solennelle protestation, qu’on ne prétend pas être garant de ce qu’on avance sur la sainteté et les vertus que l’on attribue à ses confrères, non plus que sur les autres éloges qu’on leur a donnés. Il est plus difficile, selon M. Baillet[3], de bien répondre à deux autres points d’accusation. Le premier, est qu’Alegambe, trompé par de faux mémoires, que des personnes mal intentionnées lui envoyaient, à traité d’hérétiques M. Marion et M. Servin, et quelques autres magistrats illustres et bons catholiques. Le second est qu’il a été trop indiscret de révéler certaines choses qu’il était très-important à la société de tenir cachées et assoupies, comme, par exemple, lorsqu’il assure que l’Amphithéâtre d’honneur[* 1], fait contre l’autorité royale par un nommé Bonarscius, est d’un célèbre jésuite, contre l’assurance que le père Coton avait donnée du contraire au roi Henri-le-Grand ; et que d’autres livres, faits contre l’épiscopat et la hiérarchie en général, et contre le clergé de France et la Sorbonne en particulier, ont été composés par des pères de la société, quoique les principaux d’entre les jésuites de France, qui gouvernaient les maisons de Paris, ayant été appelés pour cet effet, eussent protesté, même par écrit signé de leur main, que les jésuites n’étaient pas les auteurs de ces libelles. M. Baillet ajoute, que Sutuel a été plus discret qu’Alegambe en ce point : car on ne lit pas dans son édition les écrits du faux Smith, et du faux Of-Jesu, qui ont causé tant de scandale ; non plus que les livres de Guimenius, de Vernant[* 2] de l’Apologiste des casuistes : et il a eu soin même de nous avertir par avance que son silence à l’égard de ces sortes de livres devait passer pour un désaveu et une secrète condamnation qu’en fait la société. Mais on ne peut nier d’ailleurs qu’il n’y ait laissé les fautes d’Alegambe en beaucoup d’autres endroits, et que son édition ne soit moins exacte et moins belle que celle d’Alegambe. Voyez la remarque précédente, à la fin. Je toucherai ci-dessous, à la fin de la remarque (C) de l’article Annat, un petit défaut de cette Bibliothéque.

(D) Je remarquerai, au sujet de cette Bibliothéque, ce qui se passe

  1. (*) Ce livre est attribué au jésuite Carolus Scribonius d’Anvers dans le catalogue de Ribadeneira, Lyon, in-8o, chez Pillehotte ; et Anvers, ex Officinâ Plantinianâ, 1613. in-8°, Rem. crit.
  2. * Si, dit Leclerc, Sotuel n’a point parlé du livre publié sous le faux nom de Sieur de Vernant, c’est que ce livre n’est pas d’un jésuite, mais d’un carme de la réforme de Bretagne, appelé dans le monde Bonaventure d’Hérédie, et dans la religion Bonaventure de Sainte-Anne.
  1. Baillet, Jugemens des Savans, tom. II, num. 112, pag. 137.
  2. Là même, pag. 133.
  3. Baillet, Jugemens des Savans ; tom. II, pag. 135.