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ALPAÏDE.

cloître est ordinairement aux personnes de cette espèce ce qu’était autrefois Ligourne aux banqueroutiers.

    fondé par Alpaïde à Orp-le-Grand, dans le Brabant.

(A) Quelques auteurs assurent, sans beaucoup de fondement, que Pépin l’épousa, après avoir repudié Plectrude. ] M. de Cordemoi[1] remarque qu’ils ne s’appuient que sur le second continuateur de Fredegaire, qui dit que Pépin épousa Alpaïde. « Mais outre que cet auteur, qui écrivait (comme tout le monde sait) par les ordres du frère et du neveu de Charles Martel, n’avait garde de parler des amours de Pépin et d’Alpaïde autrement que comme d’un mariage, il ne dit pas que Plectrude ait été répudiée. Il reste même plusieurs actes, qui font voir que Plectrude n’a jamais vécu séparée d’avec Pépin ; de sorte que, ni selon les lois ecclésiastiques, ni selon les lois civiles, Alpaïde n’a pu être regardée comme sa femme légitime : et, s’il l’a épousée, il a eu deux femmes à la fois. »

(B) Indignée contre Lambert, évêque de Liége,... qui censurait ses amours, elle forma un dessein contre la vie de ce prélat. ] Il ne faut pas s’étonner que le second continuateur de Fredegaire ne dise rien de cette conduite de Lambert, ni des suites funestes qu’on prétend qu’elle eut ; il ne pouvait toucher à cela, sans encourir la disgrâce des parens de Charles Martel, qui se servaient de sa plume : ainsi son silence n’est d’aucune force ; mais l’auteur des Gestes n’en dit rien non plus[2]. Un auteur, qui vivait alors, dit seulement, Que saint Lambert fut tué par un seigneur appelé Dodon, qui voulut venger la mort de deux de ses parens, que les gens de ce saint évêque avaient tués sans qu’il le sût[3]. Si nous savions de quel parti était cet auteur, s’il tenait pour Charles Martel ou pour Plectrude, s’il espérait ou s’il craignait quelque chose, nous pourrions connaître les conséquences de son silence. M. de Cordemoi ajoute, qu’il ne paraît point par aucun mémoire du temps, ni que ce Dodon fût frère d’Alpaïde, ni qu’elle l’eût excité à tuer saint Lambert ; qu’il y a véritablement quelques mots dans les martyrologes faits vers ce temps, qui font connaître que cette violence avait été faite par ordre de la cour, et que comme Pépin en était le maître, ceux qui ont écrit depuis ont cru devoir expliquer au désavantage de ce prince et d’Alpaïde ce qui est en paroles couvertes dans ces martyrologes[4]. Le plus sûr, à mon avis, est de renvoyer ceci au nombre des faits douteux. Ceux qui disent que le seul Lambert, évêque de Liége, osa reprendre Pépin, et parler hautement de sa bigamie comme d’un adultère public, sans se laisser ébranler ni par les promesses, ni par les menaces de Dodon, frère d’Alpaïde[5], n’ont écrit que long-temps depuis[6] : cela les éloigne un peu de la qualité d’un témoin certain. D’ailleurs le fils d’Alpaïde était un sujet si redoutable, qu’on ne peut rien inférer du silence des auteurs contemporains.

(C) Lambert fut le seul prélat qui osa dire ses vérités à Pépin. ] L’auteur d’un dictionnaire historique aurait mille et mille occasions de remarquer qu’il n’y a point de plus grands flatteurs des puissances que les gens d’église. Leurs prédications, leurs prières, leurs harangues, leurs épîtres dédicatoires, sont si remplies d’éloges outrés, qu’on ne saurait mieux représenter l’état où ils mettent un auditeur et un lecteur bien honnête homme, que par le proverbe, date mihi pelvim. Pépin, me dira-t-on, n’était point roi. Pépin, répondrai-je, avait en sa main la clef des bouches et des plumes, les peines et les récompenses : il ne lui manquait que le titre de souverain ; il en avait la réalité, il en faisait les fonctions. Les flatteurs ne s’arrêtent pas à un vain titre : ils adorent plus dévotement

  1. Cordemoi, Hist. de France, vol. I, p. 381.
  2. Cordemoi, là même.
  3. Godescale. in Vitâ S. Lamberti, cap. VII, cité par Cordemoi, là même.
  4. Cordemoi, Hist. de France, vol. I, p. 382.
  5. Anselm. Laodicens. Canonicus, Sigibertus Monachus Genblacensis, Nicolaüs Laodic. Canonic. Vener. et alii, cités par Cordemoi, pag. 381.
  6. Cordemoi, pag. 381.