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AMYRAUT.

beaucoup dire ; car il avait un flux de bouche merveilleux, tant en latin qu’en français, tant pour les leçons de théologie que pour les sermons. Il savait le monde, et il pouvait fournir en conversations cent sortes de choses qui étaient hors de son métier : et c’est sans doute ce qui contribua autant ou plus que la réputation de sa science au bonheur qu’il eut toute sa vie d’être considéré et honoré des grands seigneurs de contraire religion. J’ai déjà dit que le cardinal de Richelieu eut de l’estime pour lui : je n’ajoute point qu’il lui fit parler de son grand dessein de réunir les églises (I) ; car ce ne serait pas une preuve de considération assez distinguée, ce cardinal ayant sondé là-dessus plusieurs ministres, qui étaient bien inférieurs à celui-ci. Le maréchal de Brezé (K) et le maréchal de la Meilleraie (L) doivent être mis au nombre des grands seigneurs qui firent un cas tout particulier de notre Amyraut. M. le Goux de la Berchère (M), premier président au parlement de Bourgogne, et les intendans de la province d’Anjou (N), sont de ce nombre ; et nous y pouvons même joindre des évêques et des archevêques (O), et par-dessus tous le cardinal Mazarin (P), dont les honnêtetés pour ce professeur furent extraordinaires. Il y a beaucoup d’apparence qu’il trouva grâce auprès de ce cardinal, entre autres raisons, parce qu’il se déclara hautement pour la doctrine de l’obéissance des sujets. Il le fit utilement pour la cour de France, pendant les désordres de la Fronde, où la fortune du cardinal Mazarin fut si ballottée ; et, en plusieurs autres occasions, il témoigna que c’était son dogme favori (Q), jusqu’à s’en quereller avec un ministre de la Rochelle[a] : mais cela n’empêcha point, qu’en ce qui regardait la conscience il n’exhortât à désobéir (R). Il n’est pas besoin de dire en quelle considération il était chez les grands seigneurs protestans : cela s’entend assez de soi-même. Il fut brouillé avec un ministre de Saumur, nommé M. d’Huisseau, et il n’eut pas toute la satisfaction qu’il attendait de cette affaire au synode national de Loudun[b]. On a cru que la gloire dont il jouissait lui avait été contraire en cette rencontre ; comme s’il eût été un grand arbre, qui faisait ombre aux petits, et qu’il fallait abaisser. Outre que les parens de ceux qui s’étaient déclarés chefs de parti contre le dogme de la grâce universelle favorisèrent son ennemi le plus qu’ils purent. Il aurait apparemment été de la table dans ce synode (S), où il assista de la part de sa province, si l’on ne l’eut cru personnellement intéressé aux affaires que M. d’Huisseau avait avec l’église de Saumur. Il mourut fort chrétiennement le huitième jour de janvier 1664[c], et fut enterré selon toutes les cérémonies académiques. Il eut pendant sa dernière maladie une grande liberté d’esprit, qui lui donna lieu de tenir plusieurs discours très-édifians, et de donner de beaux témoignages de sa foi en présence

  1. Philippe Vincent.
  2. En 1659.
  3. Konig dans sa Bibliothéque, et Witte dans son Diarium, mettent mal sa mort en 1665.