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AMYRAUT.

reçut deux visites de ce ministre, s’entretint avec lui près de deux heures chaque fois, et le traita fort civilement. On parla entre autres choses des livres de M. Daillé, dont le prélat dit beaucoup de bien par rapport à l’érudition.

(P) Et par-dessus tous le cardinal Mazarin. ] Il arriva à Saumur, en 1652, quelques jours après que le roi et la reine mère y furent arrivés : et comme il apprit qu’à la table de la reine on avait parlé amplement d’un sermon du sieur Amyraut, il pria le comte de Comminges de témoigner à ce ministre qu’il serait bien aise de le connaître. Ce comte était gouverneur de Saumur, et avait beaucoup d’amitié pour M. Amyraut : il lui avait promis que ceux de la religion pourraient s’assembler à l’ordinaire le dimanche, quoique le roi fût dans la ville ; mais il lui déclara en même temps qu’il fallait qu’ils interrompissent leurs assemblées les trois premiers jours après l’arrivée du roi. On tint ce qui avait été promis. M. Amyraut prêcha le dimanche sur ces paroles, Craignez Dieu, honorez le roi, et fut ouï de beaucoup de personnes de la cour, qui en furent très-satisfaites, et qui parlèrent de son sermon avec éloge, non-seulement au roi, dès qu’ils furent sortis du temple, mais aussi le soir pendant le souper de la reine. Ce fut alors que le cardinal Mazarin ouït parler de ce sermon, et qu’il apprit de la bouche de M. de Comminges le zèle que M. Amyraut, et tous ceux de la religion de ces quartiers-là, avaient témoigné pour le service du roi dans les derniers troubles. L’envie qu’eut le cardinal de voir ce ministre fut si grande, qu’il la lui fit témoigner dès le lendemain matin par le juge de la prévôté : de sorte que M. de Comminges, ayant vu qu’il n’avait pas été le premier porteur de la nouvelle, dit à M. Amyraut en riant : Je vois bien, monsieur, qu’au premier jour nous aurons besoin de votre intercession auprès de son Éminence : ce qui vous prouvera l’utilité de l’invocation des saints. La première visite fut assez courte ; mais on pria M. Amyraut de revenir le lendemain à huit heures. Le cardinal lui fit toute sorte d’honnêtetés ; il le fit asseoir auprès du feu, il lui parla d’affaires d’état, il lui étala tous les efforts que l’on faisait en Xaintonge pour entraîner ceux de la religion au parti des princes, et le pria de travailler à rendre inutile toute cette machination. M. Amyraut l’assura qu’il n’y avait rien à craindre de la part des protestans de France, et qu’il écrirait à plusieurs ministres de Xaintonge, afin que le synode qu’ils devaient tenir bientôt témoignât authentiquement sa fidélité. La chose fut exécutée. Deux jours après cette audience, le cardinal, sous prétexte de voir le collége de ceux de la religion, et la bibliothéque de M. du Plessis-Mornai, eut un autre tête-à-tête avec M. Amyraut, dans le cabinet de ce dernier. Ils parlèrent de l’édit de Nantes, et sur ce que M. Amyraut, interrogé si Henri IV avait été dans l’obligation de le donner, avait répondu que oui ; mais que, quand même c’aurait été une grâce au commencement, l’observation en serait aujourd’hui une chose nécessaire, le cardinal lui dit qu’il avait raison, et lui cita cette maxime du droit : Quod initio fuit voluntatis, ex post-facto fit necessitatis. On sera peut-être bien aise de voir ici ce que M. de Guitaut [1] dit à madame de la Trimouille, en présence de la reine : Son Éminence est chez le ministre Amyrault : ce sont deux ecclésiastiques ensemble ; mais je suis sûr qu’ils ne parleront point de religion ; son Éminence n’y trouverait pas son compte. Pendant les cinq semaines que le roi fut à Saumur, M. Amyraut fit plusieurs visites au cardinal, et en fut toujours bien reçu ; et lorsqu’il prit congé de son Éminence, elle lui dit de lui écrire directement toutes les fois qu’il aurait à demander quelque chose, soit pour le parti en général, soit pour ses intérêts particuliers. Il ne se servit d’une telle permission qu’après le voyage qu’il fit à Paris, sur la fin de l’année 1658. Il vit trois ou quatre fois son Éminence, qui lui fit beaucoup de civilités. Il lui parla du synode national, dont on demandait la convocation depuis tant d’années. Le cardinal répondit que les raisons qui avaient empêche de l’accorder subsistaient encore, et vou-

  1. Il était capitaine des gardes de la reine, oncle de M. de Comminges.