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ABARIS.

sous prétexte que la persuasion de la baguette avait fait peur à quantité de scélérats et procuré la restitution de quelques vols. Elle déclara que Jacques Aymar avait enfin avoué la fraude, et qu’il en avait demandé pardon, et qu’il avait dit pour ses excuses, que sa hardiesse avait moins contribué à la conduite qu’il avait tenue que la crédulité d’autrui.[1] Is (princeps Condæus) Aymarum Lugduno accersiverat indaginis causâ : excussum multis modis homuncionem et deprehensum tandem ad confessionem fraudis adegit ; quam sibi ignosci petiit supplex, et graviora metuens, causatus non tam propriâ audaciâ quam alienâ credulitate hominum falli volentium, et velut obtrudentium sibi, quæ alioqui ne jactare ausus fuisset, sese in hæc impulsum eò tandem pervenisse, undè pedem commodè non potuerit referre. Facilè condonavit homini magnanimus princeps ; sed erant, qui suaderent dissimulari comperta, et conservari famam hominis vel artis, utili dolo, quòd constaret, furibus aliisque malis hominibus magnum metum fuisse injectum, et ob famam adventantis alicubi rerum furtivarum pretia fuisse relata : sed ducissæ pariter nostræ ac principis egregii sententia fuit, potiorem habendum rationem veritatis. M. Leibnitz a joint à cela une réflexion très-digne de lui, qu’il vaudrait bien mieux examiner de quelle manière tant de personnes de mérite avaient pu être trompées à Lyon, que de rechercher les causes physiques de la prétendue vertu de la baguette.[2] Et scripsi nuper Parisios, utilius, et examine dignius, mihi videri problema morale vel logicum, quomodô tot viri insignes Lugduni in fraudem ducti fuerint, quàm illud pseudo-physicum quod tractavit Vallemontius, meliori materiâ dignus, quomodò virga corylacea tot miracula operetur ? Nam moralis illa quæstio, excussa pro dignitate, multorum errorum popularium origines sæpè speciosas aperiret. Je m’imagine que, si les magistrats de Lyon, qui firent prendre le meurtrier que Jacques Aymar avait découvert à Beaucaire, eussent menacé de faire brûler tout vif, comme un malheureux magicien, l’auteur de la découverte, et qu’ils lui eussent présenté le bourreau avec tous les instrumens de la question, ils lui eussent fait avouer comment il avait appris tout le secret de l’assassinat, et qu’il trouverait à Beaucaire, en tel et tel lieu, l’un des assassins. Il est très-apparent que des personnes qui voulaient le mettre en réputation, afin de partager avec lui le profit de la baguette, lui firent jouer ce rôle. M. Buissière remarque dans son imprimé [3] que cet homme avait une cabale de gens qui le prônaient partout à Paris, et qui firent mettre dans Le Mercure Galant du mois de février 1693 qu’il avait trouvé ceci et cela ; et il n’y eut jamais rien de plus faux. La prévention était telle, qu’il aurait gagné des sommes immenses s’il avait pu se maintenir. Jugez si ses partisans n’avaient pas de fortes raisons de le seconder. « Il n’y eut jamais d’imposture plus accréditée que celle-là [4] : on était si prévenu en faveur de ce personnage, qu’on lui faisait faire des choses à quoi il n’avait jamais pensé, et qu’on lui cherchait des raisons pour l’excuser quand il ne réussissait pas. Il imposait par un air simple et grossier en apparence, et en ne parlant que le patois de son pays ; mais, au fond, il n’était rien moins que ce qu’il paraissait. Le mouvement de sa baguette faisait illusion ; on voyait tourner entre ses mains un morceau de bois fourché si adroitement, qu’on ne s’apercevait point du mouvement insensible de son poignet, qui le déterminait à tourner avec vitesse et avec force, par le ressort qu’il faisait faire à sa baguette. Outre sa naïveté apparente, il affectait fort d’être dévot, d’aller souvent à confesse, tous les jours à la messe, et autres marques extérieures d’une grande catholicité ; et de dire qu’il avait soigneusement gardé son pucelage, sans lequel, di-

  1. Leibnizius apud Tenzelii Collog. menstr. anni 1694. Je rapporte ceci comme je le trouve dans l’ouvrage de M. Pasch, docte professeur en philosophie à Kiel, de Inventis novantiquis, pag. 779, édit. 1700.
  2. Leibnizius apud Tenzelii Colloq. menstr. anni 1694, page 779.
  3. Lettres sur les véritables Effets de la Baguette, pages 13 et 14.
  4. M. Buissière, dans la lettre qu’il me fit l’honneur de m’écrire le 15 de juillet 1698.