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ABDÈRE.

quasi habitaturi ingressi sunt. Carolus siquidem cum Eudone, Aquitaniæ principe, tunc discordiam habebat ; qui tamen in unum se conjungentes contra eosdem Sarracenos, pari consilio dimicârunt ; nam irruentes Franci super eos, trecenta septuaginta quinque millia Sarracenorum interemerunt, ex Francorum verò parte mille et quingenti tantùm ibi ceciderunt, Eudo quoque cum suis super eos irruens, pari modo multos interficiens omnia devastavit [1]. Réginon a parlé aussi de la réconciliation de Charles et d’Eudes : il a dit qu’elle fut faite avant la bataille, et qu’après cela ils attaquèrent de concert les Sarrasins. Sigebert partage de telle sorte la gloire de cette journée entre ces deux chefs, qu’il semble ne vouloir donner à Eudes que l’avantage d’avoir forcé le camp des Sarrasins, et d’avoir abîmé les débris de leur armée ; Eudo quoque reconciliatus castra Sarracenorum irrupit, et reliquias eorum contrivit. Roderic, archevêque de Tolède, nous fournira une bonne preuve ; car il dit[2] que les plus grandes forces de Charles Martel étaient composées d’Allemands, de Goths et de Français, qui étaient restés à Eudes après la bataille que les Sarrasins gagnèrent près de la Dordogne. N’oublions pas la lettre qu’Eudes écrivit au pape Grégoire II, où il lui fit un narré de la bataille. Marianus Scotus et Othon de Frisingen parlent de cette lettre. Anastase le bibliothécaire en parle aussi [3] ; et ce qu’il y a de bien singulier, c’est qu’il donne toute la gloire de l’action au duc d’Aquitaine, sans dire quoi que ce soit de Charles Martel ; et, pour ce qui est du nombre des morts, 370,000 du côte des Sarrasins, et 1,500 du côté des Français. Il en donne pour son garant cette lettre d’Eudes, d’où il tire une particularité assez burlesque : c’est que le jour de la bataille, Eudes fit hacher en petits morceaux trois éponges bénites, que le pape lui avait envoyées, de celles qui servaient à l’usage de la table, et en donna à manger à ses soldats, ce qui leur porta tant de bonheur, qu’aucun de ceux qui en mangèrent ne fut ni tué ni blessé.

Pour entendre cet usage de la table, souvenez-vous de ces paroles de Martial :

Hæc tibi sorte datur tergendis spongia mensis Utilis[4].

(L) Les modernes aient osé en débiter tant de choses particulières. ] Je me servirai de la judicieuse réflexion de l’historien qui m’a servi de principal guide dans cet article. L’on ne peut trop remarquer, dit-il[5], cette journée, et l’on ne peut assez blâmer les anciens annalistes de n’avoir rapporté aucune circonstance d’une action si mémorable. Mais, d’un autre côté quand on aime un peu la vérité, on a peine à excuser ce que des auteurs modernes[6], dont le mérite est grand d’ailleurs, ont écrit de cette bataille. Ils en parlent comme s’ils avaient été présens à tous les conseils, et comme s’ils avaient vu tous les mouvemens des deux armées ; ils décrivent, non-seulement les armes des Français et des Sarrasins, mais la manière dont Charles et Abdérame rangèrent leurs troupes. Ils rapportent de longues harangues remplies de choses qui ne sont ni vraies, ni convenables ; ils disent de quelles ruses se servit Abdérame : l’adresse dont Charles en évita l’effet, et achèvent par la description des postures différentes où on trouva les corps de ceux qui demeurèrent sur le champ de bataille, sans oublier la plainte des mourans, et les louanges que les chefs de l’armée de France, c’est-à-dire, Charles et Eudes, se donnèrent l’un à l’autre.

  1. Histor. Longob., lib. VI, cap. XLVI, apud Catel, Mémoires du Languedoc, p. 530.
  2. Roderic, Histor. Arabum, dans les Mémoires de Catel, page 529.
  3. Dans les Mémoires de Catel de l’Histoire du Languedoc, page 531.
  4. Martial. Epig. CXLIV, lib. XIV.
  5. Cordemoi, Histoire de France, p. 406.
  6. Il cite en marge Paul Emile et Fauchet.

ABDÈRE, mignon d’Hercule. Voyez la remarque (D) de l’article suivant.

ABDÈRE, ville maritime de Thrace, proche l’embouchure du Nestus[a]. Il y en a[b] qui veulent que la sœur de Diomède l’ait bâtie (A), et qu’elle lui ait donné son nom ; mais qu’en la 31e. olym-

  1. Herodot., lib. VII, cap. CIX, CXXVI.
  2. Solin, chap. X. Voyez aussi Mela, lib. II, cap. II.