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municipal. Alors, c’était pendant les beaux jours une invraisemblable existence de poulains lâchés. On était de francs lurons, aucune audace ne semblait assez forte et l’imagination n’était jamais à court d’inventions saugrenues. Les repas prenaient des allures pantagruéliques et lorsque l’enthousiasme des quatre amis était à son comble, on allait ouvrir les tiroirs où reposaient les registres municipaux et, comme des potaches, on se les lançait à la tête. Les nuits où le sommeil tardait à venir, Regoyos prenait sa guitare et parcourait les ruelles en la pinçant. À force d’équipées et de folies, Verhaeren, Théo et ses amis étaient devenus le scandale et la terreur des honnêtes villageois, qui menaçaient de leur faire un mauvais parti. Alors Théo, pour tenir ceux-ci en respect, parlait des armes qu’il avait rapportées du Maroc et de leur énorme pouvoir de destruction. Ah ! l’auberge Collete, si ses murs avaient eu des yeux et des oreilles et une voix, comme ils auraient redit volontiers ce que peuvent oser quatre garçons qui n’ont pas froid aux yeux ! … Une fois ils s’étaient promenés complètement nus de Knocke à Heyst en suivant la plage, pour prendre un bain complet de soleil et de brise ; quand ils apercevaient une silhouette ils se plongeaient dans l’eau. Et c’était là des mois de vie brutale et magnifique, tous les instincts débridés, avec l’exaltation de la mer et du grand air.

Par son étroite amitié avec Théo van Rysselberghe, Verhaeren s’était rapproché des peintres,