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l’humanité, — évoque la noblesse farouche et la force insondable du taureau. En prolongeant l’examen de la face, c’est dans l’œil gris clair que vous apparaît l’expression intensément humaine de l’individu, lorsqu’il se fixe sur vous à travers le binocle et que peu à peu s’en dégage tout un monde de tendresse, de sensitivité, de pénétration. Le contact de l’homme est chaud, réconfortant ; on se sent, à l’approcher, près d’un ardent foyer de vie. Il est donc, au point de vue corporel, un organisme d’élite, un être aux puissantes assises physiques, à l’égal d’un Bjœrnson ou d’un Roosevelt. À la veille de la soixantaine, il présente l’aspect d’un homme en pleine force, sans aucune marque de déchéance physique.

Considérez l’œuvre maintenant. Elle est avant tout surabondante de vie, lourde de sève et de nature, touffue, débordante, excessive. Un tempérament d’une violence instinctive et sauvage, ignorant des spiritualismes coutumiers, s’y dénonce. À cette brutalité splendide fait contrepoids une tendresse singulièrement pénétrante et subtile. L’œuvre entier offre cette combinaison de force rude et de douceur enfantine. Ce sont là, en somme, les qualités du barbare, du grand enfant roux, terrible et timide, des primitives civilisations aryennes. Lemonnier s’en témoigne ainsi le survivant. Jugez par là combien sa figure s’enlève en violent contraste sur le fond commun d’anémie et de neurasthénie, si particulier à notre âge et à notre monde. C’est en vertu de cette primitivité qui est en lui que son être moral répand un arôme vital si fortifiant. C’est une conscience qui fleure bon et mâle.

Camille Lemonnier naquit le 24 mars 1844, à Ixelles (commune de Bruxelles). Il sort de la bourgeoisie. Son père était l’avocat Louis Lemonnier de Louvain ; sa mère (qu’il perdit à deux ans), Marie Panneels, d’Ixelles. Bien que ces noms semblent déceler la double origine, wallonne