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Lorsque parut son deuxième Salon de Bruxelles, — celui de 1866 — l’auteur, un matin, vit venir chez lui Alfred Stevens qui l’embrassa et lui dit : « Vous êtes désormais le critique sur lequel nous fixons les yeux. » Ce jeune homme en qui se renouait la tradition des grands critiques d’art, avait en effet découvert des peintres tels que H. Boulenger, Louis Dubois, H. de Brakeleer… Ce fut ensuite ce coup d’audace, le Salon de Paris de 1870 : un volume de deux cent cinquante pages. L’écrivain de vingt-cinq ans, presque un inconnu encore, mais sûr de sa force, pénétré de sa mission, a voulu élargir le champ de sa vision. En une langue insolite, puissante et neuve, il y émet des jugements d’une stupéfiante maturité[1].

Une vertu domine, en effet, toute la critique d’art de Lemonnier : c’est qu’elle émane d’un homme qui comprend essentiellement la peinture. Tout d’abord il la connaît profondément. Je ne veux pas seulement dire qu’il possède une vaste érudition esthétique ; également il connaît à fond les matérialités et les techniques de l’art. Sa critique est basée sur une science positive, dirigée en tous sens. Mais ce qui lui communique cette originalité et ce caractère adéquat qui la distingue, c’est qu’étant lui-même un peintre se servant de mots en place de touches, que sa matière littéraire étant en grande partie de la matière picturale, il y a entre lui et

  1. Voici un jugement curieux à noter sur ce Salon de 1870. Il émane de Sensier, le biographe de Rousseau et de Millet :

    « Enfin, voici une œuvre forte ! Voilà la formule du véritable progrès dans l’art, telle que beaucoup l’avaient comprise et sentie sans pouvoir toutefois l’exposer… Tout le livre est écrit en jets de feu. Nous l’avons tout d’abord considéré comme la profession de foi des artistes appelés à fermer le dix-neuvième siècle. La lecture du livre justifiera notre admiration pour un écrivain presque inconnu encore des lettrés de ce temps-ci. Ce livre, lui-même, œuvre de foi virile, est de nature non seulement à légitimer notre admiration, mais à produire dans le monde artistique une émotion profonde et durable, plus que cela, une véritable révolution… »

    (Cité par L. Delmer, loc. cit.)