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traduisent, Hambourg, Paris ou New-York. On peut conjecturer ce que les neuves et prodigieuses cités américaines pourraient inspirer à un tel interprète : et il est permis d’affirmer que, sans les avoir connues, il est également leur poète. Devant certaines pages des Villes, — par exemple le Port, d’une si extraordinaire suggestion — je vois se dresser les bâtiments hauts comme des tours et troués comme des ruches, les wharfs fourmillants, les architectures de fer, les grues immenses, les quais bordés de transatlantiques, de docks et d’usines, l’étrange et féerique horizon de New-York : et il me semble à ces moments-là que Verhaeren, si large et si intense, est né pour le Nouveau-Monde. Mais pourquoi blâmer les destins, si le sien fut précisément d’exprimer notre coin de la planète sous son double aspect de putrescence et de germination, de s’affirmer essentiellement un poète européen ?

Oh ! la poésie de l’ère des machines et des foules, d’un âge de splendide « laideur », combien peu la sentent encore et combien peu surtout ont la force de l’exprimer ! Un jour viendra cependant où les poètes, — les vrais — nous diront, après avoir dégagé l’émotion qui nous saisit devant la locomotive ou le steamer en marche, l’étrange beauté nouvelle incluse en la linotype ou tel autre outil merveilleux. La gloire d’un Verhaeren est d’avoir fait passer dans l’art la vitalité énorme dont tressaille à cette heure la planète, fumante de tous les cratères usiniers dont elle se hérisse, d’avoir su interpréter, au moyen d’un art adéquat, le tourment et