Page:Bazalgette - Émile Verhaeren, 1907.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le corps, entre Dieu et l’univers, s’effacent. L’homme est un fragment de l’architecture mondiale. Il a la conscience et l’intelligence de l’ensemble dont il fait partie… Il se sent enveloppé et dominé et en même temps il enveloppe et il domine… Il devient en quelque sorte, à force de prodiges, ce Dieu personnel auquel ses ancêtres croyaient. Or, je le demande, est-il possible que l’exaltation lyrique reste longtemps indifférente à un tel déchaînement de puissance humaine et tarde à célébrer un aussi vaste spectacle de grandeur. Le poète n’a qu’à se laisser envahir, à cette heure, par ce qu’il voit, entend, imagine, devine, pour que les œuvres jeunes, frémissantes, nouvelles, sortent de son cœur et de son cerveau… »

Cet aveu d’un poète, parvenu au sommet de son œuvre et embrassant le monde d’un regard, me parait, dans sa hardiesse et sa franchise, la plus précieuse des indications.

On suppose bien que Verhaeren n’entend pas désigner ici de ce qu’on nomme panthéisme dans les manuels de philosophie, — simple doctrine pour gens d’école. Ce que le poète préconise et annonce, c’est une refonte totale, un élargissement merveilleux de la conscience de l’homme, — de l’homme quotidien, non du métaphysicien — sous l’influence d’un sentiment nouveau de l’univers, perçu comme un ensemble où tout est lié, où la plus infime parcelle de matière contient toute la divinité qu’on adorait autrefois en quelques manifestations isolées.