Page:Bazan - Vol de papillons, 1887.djvu/4

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J’avais cinq ans ; je m’asseyais chaque jour sur un petit tabouret aux côtés de ma grand’mère, je lui enfilais ses aiguilles avec une dextérité dont j’étais extrêmement fière, j’écoutais ses histoires, je lui en lisais même en ânonnant parfois quelque peu, mais la chère femme était indulgente et affirmait que la Belle au Bois dormant, prenait un intérêt tout nouveau, en passant par ma bouche.

Ce n’était pas une aïeule comme on en voit souvent, aux cheveux tout blancs, à la voix douce, à la taille courbée, avec quelque chose dans toute leur personne d’effacé comme un rêve ; non, celle-ci était très droite encore, et son tour de cheveux foncés donnait même une teinte un peu dure à son visage. Ce tour avait eu de cruelles péripéties, elle l’avait brûlé un jour en le faisant chauffer dans le four du poële, mais, ainsi qu’au couteau de Jeannot on fait remettre un manche, elle avait fait remplacer les boucles cuites et… c’était toujours le même. Je la vois encore coiffée d’un bonnet à fleurs, enveloppée d’un petit châle fond noir à fantastiques dessins verts et rouges, ses accessoires comme tabatière, mouchoir de poche, étui à lunettes déposés de chaque côté de sa bergère sur deux chaises ad hoc, où ils se rencontraient avec l’étui, le coton, les ciseaux, reprisant à grands points les torchons que Thérèse, notre cuisinière, était loin de ménager à son gré.

J’entrais dans cette chambre chaque matin, et m’avançant vers l’alcôve toujours sombre, je disais un timide : bonjour, grand’mère, puis je m’échappais au plus tôt.

À cette heure-là, j’accomplissais un devoir que je trouvais presque pénible, car mon imagination peuplait de gnômes plus ou moins effrayants les profondeurs de cette alcôve, et je songeais malgré moi, en contemplant ma grand’mère en bonnet de nuit, à l’une des fées des contes de Perrault ou de Madame d’Aulnoy, fées non pas malfaisantes, certes, mais un peu malicieuses pour ne pas dire despotes.

Dès que ma grand’mère était habillée, tout changeait, et elle devenait pour moi la fée la plus bienfaisante du monde.

J’accourais sans me faire prier, et contemplais toujours avec la même admiration la manière plus qu’originale dont elle faisait son lit. C’était encore l’époque des lits de plume, et chaque matin elle nivelait les inégalités du sien à l’aide d’une aune en bois noirci par l’usage, et qui restait en permanence à son chevet.

Je la regardais arroser ses pots de fleurs, essuyer les lourds chandeliers d’argent qui garnissaient sa cheminée, donner un coup de plumeau au guerrier casqué qui surmontait sa pendule, attiser le feu de troisième vicaire qui brûlait dans son foyer durant l’hiver, ou s’assurer pendant l’été que Jésus et la Samaritaine qui se parlaient éternellement sur le devant de cheminée, n’avait pas trop souffert de la fuite du temps,