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I

LA FROMENTIÈRE


— Vas-tu te taire, Bas-Rouge ! tu reconnais donc pas les gens d’ici ?

Le chien, un bâtard de vingt races mêlées, au poil gris floconneux qui s’achevait en mèches fauves sur le devant des pattes, cessa aussitôt d’aboyer à la barrière, suivit en trottant la bordure d’herbe qui cernait le champ, et, satisfait du devoir accompli, s’assit à l’extrémité de la rangée de choux qu’effeuillait le métayer. Par le même chemin, un homme s’approchait, la tête au vent, guêtré, vêtu de vieux velours à côtes de teinte foncée. Il avait l’allure égale et directe des marcheurs de profession. Ses traits tirés et pâles dans le collier de barbe noire, ses yeux qui faisaient par habitude le tour des haies et ne se posaient guère, disaient la fatigue, la défiance, l’autorité contestée d’un délégué du maître. C’était le garde régisseur du marquis de la Fromentière. Il s’arrêta derrière Bas-Rouge, dont les paupières eurent un clignement furtif, dont l’oreille ne remua même pas.

— Eh ! bonjour, Lumineau !

— Bonjour !

— J’ai à vous parler : M. le marquis a écrit.

Sans doute il espérait que le métayer viendrait à lui. Il n’en fut rien. Le paysan maraîchin, ployé en deux, tenant une brassée de feuilles vertes, considérait de côté le garde immobile à trente pas de là, dans l’herbe de la cheintre. Que lui voulait-on ? Sur ses joues pleines un