— Oui, tout le jour il m’espionnait.
— Il est jaloux, vois-tu ! Il t’en veut.
— De quoi, le malheureux !
— D’être jeune, ma pauvre ; il est jaloux de tous ceux qui pourraient prendre la place qui lui revenait, de François, d’André, de toi. Il est comme un damné, quand il entend dire qu’un autre conduira la ferme du père. Veux-tu que je te dise tout ?
Sa main frêle se leva, et montra les lointains de Marais où des peupliers, aussi menus que des brins d’avoine, rayaient par place le ciel.
— Eh bien, il pense encore à celle de la Seulière !
— Pauvre frère, dit Rousille en remuant la tête, s’il y pense encore, elle se moque bien de lui !
— Innocente ! reprit la vieille tout à fait bas. Je sais ce que je sais. Défie-toi de Mathurin, parce qu’il a bu trop d’amour pour oublier. Défie-toi de Félicité Gauvrit, parce qu’elle enrage d’être métayère et que les épouseurs ne viennent plus.
Rousille allait répondre. La Michelonne lui fit signe de se taire. Elle entendait un pas dans la ruelle. Vite, elle essuya ses yeux, elle se rassit, elle ramassa l’ouvrage, comme une petite fille surprise en faute par sa mère. Des sabots claquèrent au pied du mur, dépassèrent le perron d’angle, tournèrent vers le bas de la place.
Ce n’était pas Véronique.
Marie-Rose s’était reculée. Elle considérait son unique amie, vieille, usée, craintive, mais dont le cœur était encore jeune. Et elle ne songea plus à ce qu’elle voulait répondre. Et elle dit simplement :
— Adieu, tante Michelonne. Si j’ai besoin d’aide, je sais où aller.
— Adieu, petite ! Défie-toi de Mathurin ! Défie-toi de celle de là-bas !
Elles ne se parlèrent plus que par leurs yeux qui ne se quittaient pas. Rousille se retirait à reculons. Bientôt la porte s’ouvrit ; le loquet retomba : il ne resta plus dans la chambre qu’une vieille pliée bien bas, qui s’efforçait de coudre dans le drap noir, et qui ne voyait plus son aiguille.